Un combat à la fois

C’est difficile d’enseigner. C’est difficile de devenir enseignant. Souvent ce qu’on apprend en Haute École reste abstrait tant que ce n’est pas éprouvé sur le terrain. Comment être maitre de stage?

Enseignante depuis plusieurs années en maternelle, je reçois des étudiantes chaque année, parfois plusieurs fois sur une année scolaire. C’est toujours avec enthousiasme que j’accueille ces nouvelles recrues pleines d’énergie, d’idéaux et d’angoisses.

Ma mission en tant que maitre de stage est d’évaluer les compétences acquises des futurs enseignants. L’évaluation est différente selon que les étudiantes sont en première, deuxième ou troisième année d’étude. J’ose dire étudiantes au féminin parce que je n’ai encore jamais eu d’étudiant masculin, et c’est dommage!

« La gestion du groupe est déterminante. »

Enseigner et transmettre les clés d’un métier est une tâche complexe. Comme avec les élèves de ma classe, je dois les guider sur un chemin semé d’embuches et de désillusions. Comme avec les élèves de ma classe, je dois les observer, les comprendre et les motiver. Repérer les personnalités, les talents et les forces. Recadrer les attendus, stimuler et consolider les pratiques pédagogiques. Tout un programme en deux, trois ou quatre semaines tout au plus.

Il faut former ces étudiants à ce beau métier d’instituteur! Et nous, maitres de stage et pédagogues des Hautes Écoles, essayons de les préparer au mieux à monter au front. Le baptême du feu dans la classe va durer quelques années. Mieux vaut le dire tout de suite.

Accueillir une étudiante

C’est le grand jour, je préviens mes élèves que nous allons accueillir une future institutrice. Je les préviens pour plusieurs raisons. Tout d’abord pour qu’ils l’accueillent. Lui dire bonjour, se présenter et aller vers la nouvelle madame est fondamental pour que l’étudiante prenne sa place. Ensuite, j’explique pourquoi elle reste avec nous, travaille avec nous. J’explique aux enfants les mots étudiant, instituteur, stage, pour qu’ils comprennent les objectifs du partenariat. Je préviens les parents des élèves pour qu’ils sachent quand l’étudiante va venir et je la leur présente pour faciliter le contact entre la future institutrice et les parents. La relation parent-école fait partie du métier. Il n’y a pas que la classe et les relations avec les enfants, il est nécessaire de développer une communication avec nos premiers partenaires que sont les parents.

Présentations faites, je prends un long moment pour écouter les questions. Souvent la plupart portent sur l’organisation de la classe : horaires de psychomotricité, piscine, moments clés de la journée, locaux, rituels du matin, liste des enfants, gestion du matériel, outils de la classe.

Dans mon école, nous avons fait le choix de travailler avec des outils spécifiques : portfolio, quoi de neuf, conseil de classe, conseil d’école, etc. Ils sont dès lors incontournables. Les étudiantes vont devoir les utiliser tous les jours, elles doivent donc les connaitre et les comprendre.

Nous faisons un tour de l’école pour le repérage. Ensuite, je pose des questions concernant les objectifs du stage. Les objectifs demandés par la Haute École, mais aussi ceux que l’étudiant va viser. J’ai des questions élaborées au fil du temps. En voici quelques-unes :

«En dehors des contraintes de stage, qu’as-tu envie de faire avec la classe?»

«Qu’est-ce que tu appréhendes le plus? Le moins?»

«Qu’attends-tu de moi?»

«Si j’ai un conseil à te donner, préfères-tu que je t’arrête pendant l’activité ou préfères-tu un bilan en fin de journée?»

«Un bilan oral ou écrit dans un cahier de route?»

Loin de mettre la pression, ce moment de discussion crée un climat de confiance. Le chemin se construit ensemble, c’est maintenant qu’il commence. Une des plus grandes difficultés pour les futurs profs, c’est la gestion du groupe qui est déterminante pour la réussite du stage. Avec en amont la gestion de soi, la connaissance de soi, la maitrise de soi, l’anxiété, le stress… Les qualités pédagogiques ne peuvent s’exprimer dans le chaos. La gestion du groupe se développera avec l’expérience, elle s’apprend.

Kit de survie

Quand des étudiantes viennent en observation, je fais très attention aux détails, aux transitions entre les différents moments de la journée et je prends du temps pour leur parler des gestes, des mots, des intonations, des comptines… sur lesquels je m’appuie pour gérer le groupe. Ce sont des outils que j’ai amassés au fil de mes expériences, de mes lectures, de mes formations, soucieuse du climat de classe pour que les élèves (et moi!) s’y sentent bien et qu’ils apprennent. De plus, il faut veiller à la sécurité de tous, notamment quand les élèves manipulent du matériel. Nous sommes seuls pendant six heures devant un grand groupe d’élèves différents les uns des autres. Les prérequis des apprentissages sont, entre autres, l’attention, la concentration, l’autonomie et la motivation. Autrement dit les compétences qui ciblent le savoir-être. Il faut parvenir à capter l’attention des enfants. Cela exige une posture, un objectif et des consignes claires. Arriver à énoncer de bonnes consignes, c’est essentiel. Les choisir et s’y tenir, en évitant de noyer les élèves dans un flot de consignes avec le risque de parler dans le vent… C’est le langage de l’école. Avec elle, comme enseignante, je m’adresse à tous les élèves et je les mets au travail.

Une activité bien menée avec un groupe bien guidé. L’un ne va pas sans l’autre. Une activité qui n’a pas de sens va distraire le groupe et le désintéresser. Un groupe distrait va rendre l’activité difficile à mener et probablement les objectifs difficiles à atteindre. Il faut veiller à ce que les enfants soient disponibles et concentrés.

La logistique d’une classe et l’agitation qui en découle demandent des retours au calme réguliers. L’excitation physique et intellectuelle demande des recentrations permanentes. Les enfants sont pleins de mots, d’initiatives, d’idées, de mouvements, de bruits. C’est très vivant une classe et cette joyeuse petite troupe demande régulations et convergences. Cette régulation se construit avec le groupe-classe et s’appuie sur des techniques ou méthodes variées. Certains enseignants ont plus de facilité que d’autres. Ce n’est pas une question d’autorité, c’est un travail de longue haleine qui demande de la résistance et de la cohérence.

L’étudiante qui observe voit comment le groupe est géré par la titulaire. Un système est installé. Quand les stagiaires prennent les rênes, les enfants peuvent devenir démoniaques.

Les étudiantes vont perdre pied, vont laisser passer des choses et se sentir perdues ou dominées, vont dire une bêtise ou une phrase sans queue ni tête. Ils vont s’attendrir devant les élèves séducteurs et se confronter à des enfants moins à l’écoute ou moins dociles.

Pour affronter tous ces moments de dérapage, je propose aux stagiaires de se construire leur boite à outils. J’en ai une aussi et elle me sert toute la journée, toute l’année. Elle n’est pas forcément matérialisée, elle existe en vrai, mais aussi dans ma tête. En fonction du besoin et du lieu, elle prend une forme différente. Tous les enseignants en ont besoin. Cette boite : c’est le jeu, au sens théâtral du terme et au sens matériel.

Mettre des paillettes dans la classe

En maternelle (et pas que) le jeu est essentiel. C’est un talent à utiliser et à développer pour le futur prof. Le sens du jeu, l’autodérision et l’humour devraient être ajoutés aux compétences transversales de base. Raconter une blague, faire le clown, faire des grimaces, parler avec une voix bizarre, moduler sa voix, faire rire, jouer au chef d’orchestre, mimer, etc. Faire appel au non-verbal permet d’économiser sa voix (et sa patience) et attire les regards. C’est même contagieux.

Chanter des chansons pour ranger la classe, manger, se dire bonjour, s’assoir, lire une histoire permet de rythmer la journée harmonieusement. Eh oui, tous capables de chanter. Rien de tel que la musique pour apaiser ou donner de l’énergie. C’est génial de danser, de faire des farandoles! Après vient le bon moment pour se poser et respirer. Respirer fort comme la tempête, puis doucement comme la brise.

J’ai une vraie boite, c’est la boite zen. Elle est grande et peinturlurée joyeusement, nous avons collectionné des objets réels : des marionnettes, la mascotte de la classe, des instruments de musique qui font beaucoup de bruits et très peu de bruits, des pompons multicolores, des plumes, une petite lampe spéciale, du matériel naturel pour assembler un mandala, un bol tibétain. Plein de trésors à manipuler. Parfois, nous tournons la molette d’une boite à musique puis nous écoutons en admirant les personnages danser, parfois nous soufflons sur une bougie, c’est presque magique.

J’invite toujours les futurs enseignants à créer leur propre panoplie pour les retours au calme. Nos étudiantes apprennent de nous, maitres de stage, car nous sommes le premier contact de terrain. J’essaie de les accompagner au mieux, de partager mes outils, mon enthousiasme et mes convictions pour qu’elles ne quittent pas le métier dans les cinq premières années, épuisées physiquement et mentalement.