À propos de la pénurie des enseignants

Parce que cette pénurie est un révélateur, parce qu’elle est comme la partie émergée de l’iceberg malaise de l’enseignement, mal-être des enseignants et de la société.

La question de la pénurie des enseignants fait régulièrement les titres de la presse quotidienne. Elle a atteint un pic et touché le grand public en aout dernier, à la veille de la rentrée scolaire. Cette question n’est pas épidermique mais pose de manière cruciale des problèmes de fond de notre enseignement.

L’école en panne

Cette pénurie était annoncée. Elle a été comme programmée par les mesures Onckelinx de ’95-’96 dans l’enseignement secondaire, passées en force malgré de longs mois de grève et de manifestations qui ont pour longtemps démobilisé et déconsidéré des milliers d’enseignants[1]Pour rappel, cette restructuration du secondaire, en éliminant de nombreux temporaires et en favorisant ponctuellement des admissions à la prépension, a fermé définitivement plus de 3000 postes … Continue reading. Si on ajoute à cela les chiffres des classes d’âge qui arriveront à la retraite dans les années qui viennent, il est clair que la croissance actuelle dans le recrutement des futurs enseignants n’y suffira pas. La pénurie ne fait que commencer. Et l’image prospective de manifestations aux cris de ” Nous voulons des enseignants ” n’est pas de la science fiction.

Plus grave, beaucoup de jeunes enseignants, après quelques années de métier dans des conditions difficiles, cèdent à l’appel de sirènes plus rémunératrices dans le secteur privé et désertent une profession où l’autorité nécessaire pour exercer ses compétences n’est pas un donné à priori, mais une conquête de tous les instants. Tout le monde connait ces exemples de classes réputées très dures laissées à des novices qui s’y cassent les dents, quand il y faudrait les profs les plus chevronnés et les mieux armés face à des adolescents en mal de revanche sur la société. Ces dernières années, un jeune enseignant sur trois quitte le secteur enseignement après une seule année d’expérience jugée trop difficile ![2]Renseignement FESeC.

De surcroit, depuis presque 20 ans opère la dévalorisation récurrente de la profession. Depuis Val-Duchesse, la communautarisation mal financée de l’enseignement et les grandes grèves des années ’90. Alors que s’accumulent depuis 30 ans des réformes en tous genres, souvent contradictoires qui à la longue créent ou renforcent chez les enseignants de lourds sentiments de culpabilité voire d’incapacité.

La nouvelle donne mondiale n’est pas étrangère à cette évolution. La marchandisation accrue de l’enseignement a créé une école à deux vitesses, génératrice de plus d’inégalités. Sans compter l’usure des profs, aggravée par la régression des utopies mobilisatrices.

Difficile pourtant de mesurer l’ampleur réelle de cette pénurie ; d’établir des chiffres par réseaux, par niveaux, par disciplines ; de cerner la durée selon les postes à pourvoir en début d’année ou les postes intérimaires. Les médias nous ont convaincus de la pénurie d’instituteurs du primaire, de professeurs de langues, de sciences et de mathématique. Le bricolage des ministères n’y change rien ; les solutions avancées ne sont pas convaincantes. La presse expose régulièrement ces exemples de professeurs recrutés dans les écoles sans qu’ils aient aucun diplôme pédagogique, quand leur formation n’est pas, en plus, fort éloignée de la discipline à enseigner.

Sans doute, sur le nombre, trouve-t-on des collègues inattendus qui s’en sortent bien et qui obtiennent de bons résultats avec leurs élèves ; mais dans quelle proportion ?

Un indice plutôt inquiétant

La commission paritaire des titres suffisants du groupe B, qui traite les demandes de dérogation pour attribuer des cours dits autres cours émanant des P.O.[3]Du Subventionné primaire et secondaire, Officiel et Libre, a examiné pour la seule année 2002-2003 plus de 9300 dossiers. Une très forte majorité de dérogations a été accordée, sous peine de voir trop de cours non attribués, parfois pour de longs mois.

Le nombre de tels dossiers est en croissance constante, particulièrement ceux de demandeurs sans qualification. Il faut savoir que trois dérogations obtenues trois années successives donnent le titre suffisant, avec le droit à la nomination. De quoi décourager tous les étudiants et enseignants des divers CAP.

Sur les 9300 dossiers évoqués, plus de 300 dérogations ont été obtenues pour des postes d’institutrices primaires occupés par des institutrices maternelles sans aucune passerelle. Quant aux emplois d’institutrices maternelles, ils sont légitimés en faveur de puéricultrices. Le secondaire qualifiant est encore plus concerné. Y sont proposés pour les cours techniques des candidats sans qualification ni pratique suffisante. Sans doute estime-t-on que pour ces élèves-là tout candidat enseignant sera toujours bon ; sans doute est-ce là aussi que les départs précipités de l’école sont les plus nombreux.

Face à une telle situation, les gens du métier ne peuvent que ressentir une nouvelle forme de dévalorisation et souhaiter la fuite rapide de ces enseignants improvisés.

La formation des maitres

Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas ici de défense corporatiste des titres requis. Il s’agit de la reconnaissance d’un métier difficile qui exige une véritable professionnalisation et donc une formation spécifique. Pourtant la formation initiale des instituteurs et des régents, en cours de réforme, n’incite pas à l’optimisme. Un cadre moins étroit aurait donné aux futurs enseignants la possibilité de vivre plus d’expériences pédagogiques qui rendent davantage partie prenante de la formation ; comme la mise en projet en groupe classe, comme l’institution de classes de coopération avec l’aide de la pédagogie institutionnelle ; comme les activités pluridisciplinaires qui posent de vraies questions et qui alimentent le désir d’apprendre ; comme toutes activités et modes de réflexion qui en feront des enseignants chercheurs.

Se pose aussi plus que jamais la question de l’agrégation pour les licenciés qui, malgré les efforts récents d’unités de didactique et le développement des stages sur le terrain, ne prépare pas suffisamment au métier ; paradoxalement aujourd’hui moins qu’hier.

En complément de la formation initiale des maitres, qu’elle se fasse en Haute école, dans les agrégations ou dans le cadre des CAP, l’idée fait son chemin d’une première année d’enseignement accompagnée, dans une forme de compagnonnage encore à définir. Le débat est ouvert.

Dans l’immédiat, pour combler tous les manques, nos gouvernants ont décrété d’obligation la formation continuée des enseignants et ont créé à cet effet l’Institut de la formation en cours de carrière. Ils ont aussi créé pour son fonctionnement un véritable marché public interréseaux avec appel d’offres et candidatures, sans se soucier de la qualité des formateurs potentiels. Ne serait-il pas opportun de définir les conditions d’accès au statut de formateur et d’aménager une certification pour valider ce statut dans le cadre de formations continuées devenues obligatoires ?

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Pour rappel, cette restructuration du secondaire, en éliminant de nombreux temporaires et en favorisant ponctuellement des admissions à la prépension, a fermé définitivement plus de 3000 postes quand ces dernières années il aurait fallu en créer.
2 Renseignement FESeC.
3 Du Subventionné primaire et secondaire, Officiel et Libre