Des accompagnateurs

Les démarches pédagogiques les plus favorables à la qualité des apprentissages – le socio-constructivisme une attention aux rapports aux savoirs et à l’école des élèves ainsi que la pédagogie institutionnelle – ne sont appliquées que par une petite minorité d’enseignants.

Des accompagnateurs, pourquoi ?

La formation continuée organisée, actuellement, est trop superficielle car elle n’induit pas de changements suffisants dans les pratiques de la majorité des enseignants. Ceux-ci éprouvent des difficultés à intégrer les démarches recommandées dans la pratique quotidienne – très complexe – de la gestion d’une classe. Pour pouvoir le faire, ils ont besoin d’une formation où l’on cherche les moyens de gérer à la fois l’appropriation des savoirs par les élèves, leur engagement dans ces apprentissages et la discipline. Une telle formation intégrante doit partir des problèmes concrets que les enseignants rencontrent dans leurs classes : ce doit être une « formation en situation de travail ».

Entre les années 1970 et 2000, la politique scolaire a basculé de différents points de vue. L’un de ces basculements concerne le moteur de changement auquel la politique fait confiance. Cette opposition est désignée par différents couples de mots : culture professionnelle des enseignants ou structure du système scolaire, innovation à la base ou réforme d’en haut, changement « émergent » ou changement « planifié ». Au temps du « rénové », la politique scolaire a parié sur la culture professionnelle, l’innovation, le changement émergent. Et les enseignants disposaient de temps pour un travail collectif. Cela a permis de nombreuses innovations utiles. Mais dans une minorité d’écoles seulement. Dans l’ensemble, ce temps était rarement utilisé à bon escient. Par la suite, sous l’effet des restrictions budgétaires successives, le temps du travail collectif a été réduit à peu de chose. Une formation continuée très brève se limite souvent à sensibiliser aux intentions des réformes. On suppose que cela suffira pour que les enseignants mettent en pratique les méthodes prescrites. On mise tout sur la structure, sur le changement planifié. Pari voué à l’échec autant que le précédent.

Pour que les pratiques professionnelles d’une majorité d’enseignants changent réellement, il faut combiner avec intelligence l’émergent et le planifié : on peut planifier, réformer, structurer les ressources à fournir aux enseignants pour qu’ils innovent, pour qu’émerge une culture professionnelle collective. Ces ressources indispensables au travail en équipe pédagogique sont principalement du temps et des animateurs.

Les sciences de l’éducation n’ont pas fini de progresser. Pour accélérer ce progrès, il faut faire « monter » le savoir pratique des enseignants vers les chercheurs. Les enseignants ont besoin d’une aide pour exprimer et analyser leur expérience : les problèmes pratiques auxquels ils sont confrontés et les solutions qu’ils imaginent et expérimentent.

Pour améliorer leur pratique, pour se professionnaliser, les enseignants ont encore d’autres besoins : une mesure des acquis de leurs élèves, comparés à ceux de l’ensemble des écoles (ce que le « pilotage » devrait fournir), des outils didactiques de qualité et un cadre matériel (des bâtiments et une logistique) adéquat. Mais les trois besoins fondamentaux, à savoir une formation en situation, une animation et une aide pour exprimer et analyser sa propre expérience, sont les plus déterminants et les plus urgents.

Des accompagnateurs, c’est quoi ?

Ces trois besoins définissent un métier nouveau, à greffer sur celui d’enseignant. Il est préfiguré par le conseiller pédagogique d’aujourd’hui, mais il ne consiste pas seulement à donner des conseils. Outre l’accompagnement d’équipes pédagogiques, il comporterait, entre autres, la supervision de débutants et de stagiaires, ou des charges de maître de formation professionnelle en écoles normales.

Cet accompagnement demande des compétences que l’on peut classer en trois catégories : animation de groupes de réflexion et formation d’adultes en groupe, connaissances en pédagogie et en sociologie de l’éducation plus solides que celles de la plupart des enseignants, maîtrise de la pratique pédagogique.

Cette triple exigence implique que les accompagnateurs soient, pour la plupart, recrutés parmi les enseignants qui ont mené à bien des innovations pédagogiques dans leur école et qui ont pu en rendre compte, qu’ils suivent une formation relativement longue et qu’enfin, ils réussissent une épreuve certificative.

Certes, les enseignants ont besoin aussi de l’appui d’autres fonctions : les CPMS et des médiateurs, qui les aident à comprendre le contexte familial et social des élèves, et par là, leurs rapports aux savoirs. Mais le développement de la fonction d’accompagnateur pédagogique est prioritaire.

Des accompagnateurs, pas des contremaîtres

Conseillers pédagogiques au rôle élargi, mieux formés et plus nombreux, ces accompagnateurs seraient-ils attachés à l’école ou itinérants ? Seraient-ils spécialisés par branche dans le secondaire ? Comment leur rôle s’articule-t-il à celui du directeur d’école et à celui de l’inspecteur ? Ces questions méritent d’être débattues. Proposons quelques principes pour alimenter ce débat.

L’essentiel est de développer les compétences des enseignants de base, à partir de ce qu’elles sont déjà, par une réflexion collective dans chaque école. L’accompagnateur doit suppléer aux lacunes de ces compétences, pas en étouffer le développement en imposant des solutions toutes faites. A fortiori, l’accompagnateur ne peut juger ou contrôler les enseignants : l’inspecteur devrait être là pour ça.

Le travail en équipe a souvent des implications en termes d’organisation de l’établissement. Les initiatives d’un accompagnateur interfèrent donc nécessairement avec les fonctions du directeur d’école. Celui-ci est d’abord un administrateur scolaire et devrait, lui aussi, être mieux formé. L’articulation entre ces deux fonctions dépendra de la taille de l’établissement. Cela implique que, dans la formation des accompagnateurs, comme dans celle des directeurs, on apprenne à comprendre l’autre rôle, à travailler avec celui qui le remplit.

Des accompagnateurs, comment ?

Du temps pour le travail collectif dans l’horaire de tous les enseignants, du temps pour la formation de ceux qui se préparent à devenir accompagnateurs et la rémunération d’accompagnateurs en nombre suffisant. Tout cela demande une augmentation considérable du budget de l’enseignement, qui s’ajoute à celle que demande, pour contribuer à l’égalité, un supplément de NTPP affecté aux écoles dont les populations d’élèves sont les plus hétérogènes ou en difficulté. Au-delà des contraintes institutionnelles qui pèsent sur la dotation de la Communauté française, pour augmenter le budget de l’enseignement, nous devons accepter, comme usagers d’autres services publics, de voir réduire le budget de certains d’entre eux ou, comme contribuables, de voir augmenter les impôts. L’opinion publique ne l’acceptera que si elle constate, dans le corps enseignant, une forte volonté de professionnalisation.

D’autre part, l’intervention des accompagnateurs dans les équipes pédagogiques, leur sélection et leur formation doivent êtres régis par des règles qui assurent leur compétence et leur légitimité aux yeux des enseignants de base, des règles qui limitent l’arbitraire tant dans le choix des contenus de formation que dans celui des personnes.

À la fois pour élaborer des règles qui soient pertinentes et elles-mêmes légitimes, et pour montrer à l’opinion publique que le levain d’une professionnalisation commence à faire « monter » le corps enseignant, il faut que ce dernier, dans son ensemble, délibère de ces règles. Et que celles-ci soient négociées entre des catégories comme les formateurs de la formation continuée, les conseillers pédagogiques, les inspecteurs, les directeurs d’école, sans oublier les syndicats.

Les modalités d’un tel processus de délibération et de négociation devraient faire l’objet d’un débat préalable, dont l’enjeu est de réduire les réticences de ceux qui ont peur de voir mis en lumière soit qu’un enseignement égalitaire et professionnalisé a besoin d’un financement élargi, soit que l’arbitraire dans le choix des personnes peut être limité par des règles qui ne paralysent pas la professionnalisation, mais qui la stimulent au contraire.