Être enseignant aujourd’hui: Un recrutement à travailler

Ces dernières décennies le métier d’enseignant a changé, au fil des réformes et de l’évolution de la société. Les enseignants, eux, ont-ils changé ?

Qui sont ces jeunes enseignants, audacieux et enthousiastes pour beaucoup, qui chaque année arrivent dans les écoles, porteurs des Missions décrétées ? Quel est le recrutement en formation initiale et comment la sélection s’opère-t-elle ?

Les expériences de stages ont une large part dans cette sélection. Là, les futurs enseignants sont vite confrontés au clivage social qui s’est creusé entre les écoles -résultat des filières d’enseignement- et à l’adaptation que cela requiert. Passant, selon les stages, de l’enseignement général à des classes du qualifiant, nombreux sont les stagiaires qui parlent de cette dernière expérience comme d’« un autre métier ».

Mais la plupart ont compris, quel que soit l’établissement investi, qu’être enseignant aujourd’hui pose bien plus qu’hier la question de la motivation des élèves, du sens à construire avec eux, du désir d’apprendre à communiquer, avec leur corollaire de travail et de sueur à fournir. Le métier d’enseignant est plus que jamais une histoire de passeur.

Rêver la réduction du clivage entre établissements et militer pour l’organisation de l’école dans le sens d’un brassage des milieux conduit à repenser les profils des enseignants à recruter et à former.

Outre la nécessité des pédagogies actives, pareille école implique l’adhésion à une philosophie et une éthique propices à l’installation d’un certain climat de travail. Climat confiant dans la mixité sociale et culturelle, qui valorise tous les types de métissages comme autant de richesses ; qui, loin de les écraser, tire les plus faibles vers le haut, tout en évitant l’écueil tant redouté du « nivellement par le bas ».

Il y faut surtout la conviction politique du droit à l’égalité, qui commande des actions sans cesse recommencées et réfléchies dans ce sens. Il y faut l’intégration du postulat de l’éducabilité de chacun, voire la conviction plus controversée dans les salles de professeurs du « tous capables ».

À cette question idéologique s’ajoute celle plus pratique de la relève dans les années qui viennent. Sait-on assez que, baby boom d’après-guerre aidant, dans un peu plus de dix ans auront été remplacés les deux tiers des enseignants d’aujourd’hui ? Remplacés par des jeunes qui probablement n’assureront plus, et c’est bien ainsi, des carrières complètes dans l’enseignement à la fréquence d’aujourd’hui ; ce qui induit pour le futur un renouvellement plus rapide de l’encadrement des jeunes dans les écoles.

La question du recrutement

Ici se pose encore, et de manière cruciale, la question du recrutement des enseignants. D’autant que les formateurs des instituteurs et des régents observent depuis des années une évolution dans le recrutement des candidats enseignants.

Le plus évident est la féminisation accrue des inscriptions, surtout dans le fondamental. Se constate aussi l’augmentation du nombre de ceux qui ont échoué parfois plusieurs fois dans d’autres études supérieures. Mais le plus nouveau est l’accroissement du nombre des candidats à la profession qui ont obtenu un diplôme d’humanités techniques de qualification et qui, quelles qu’en soient les raisons, n’ont pas la maîtrise suffisante dans la langue d’enseignement ; dans l’écrit, mais surtout dans la lecture, ce qui handicape leur appropriation de la formation. Sans compter une culture ambiante qui fait que trop d’étudiants « n’aiment pas lire ». Bien des candidats enseignants ont déjà subi et sont le produit de sélections sociales préalables. Beaucoup d’entre eux risquent d’être victimes d’une nouvelle sélection.

Les résultats aux examens des nouveaux cours de la formation initiale (sociologie et politique de l’éducation, psychologie de la relation et des apprentissages, diversités culturelles…) sont éloquents. Evalués souvent par la méthode du questionnaire à choix multiple, trop d’étudiants y échouent par manque de perception des nuances dans la formulation des items. Et le cliché de la hiérarchie entre les sections maternelle, primaire et secondaire se trouve même confirmé. Les concepteurs de la réforme qui connaissent ce déficit dans la maîtrise du langage, ont augmenté le nombre d’heures de français dans toutes les sections et dans les trois années. Pourtant le taux d’échec en première année est impressionnant. Il concerne d’abord les étudiants culturellement et donc socialement défavorisés. Mais il ne filtre pas nécessairement ceux qui ont le plus de qualités pour devenir enseignants.

De la maternelle au supérieur, le métier d’enseignant devrait inlassablement susciter le désir d’apprendre. Mais l’enseignant ne peut y réussir que si lui-même reste en recherche et garde le désir d’apprendre. Comme disait un enseignant sénégalais, « celui qui ne sait plus apprendre ne sait plus enseigner ».

Trop de jeunes s’engouffrent dans des études à finalité pédagogique en pensant d’abord, réalités économiques obligent, à décrocher un emploi stable ; attirés en plus par les sirènes des pouvoirs publics pour cause de pénurie réelle et supposée.

Mais il serait injuste que les jeunes issus des filières qualifiantes se trouvent, quasi d’office, exclus des études pédagogiques. Alors la boucle serait bouclée et l’enseignement serait vraiment l’apanage de certaines catégories sociales ; ce que les enseignants dans les formations pédagogiques contribueraient à renforcer tous les jours !

Quelles solutions ?

Comment sortir de ce cercle vicieux ? Comment améliorer le recrutement des enseignants tout en préservant les chances de chacun ? Et dans une sélection obligée, comment mesurer et évaluer le désir d’apprendre ?

Faut-il chercher du côté d’une année de propédeutique ? Une « préparatoire » qui réajuste des savoirs incontournables et évite ainsi la tentation de l’examen d’entrée, sorte de bac déguisé.

Ou faut-il créer dans la formation initiale des cours facultatifs de récupération dans la langue écrite que des étudiants motivés et au projet professionnel fort investiraient prioritairement ?

Il s’agit parfois de réveiller harmonieusement à l’écrit, voire de le dédramatiser en travaillant aussi sur les rapports aux codes en vigueur. Comme le montrent certains chercheurs sur l’éducation, les formations professionnelles se font de plus en plus au détriment du culturel, au sens large du terme. Cela malgré les cultures et mentalités diverses qui se croisent dans les villes et les banlieues.[1] A. PROST, Histoire de l’éducation et de l’enseignement, vol.4, Paris, 2004. A. Prost est un collaborateur régulier de la revue Sciences humaines.

À défaut d’une quatrième année de formation, revenons à la charge aussi avec l’idée d’un accompagnement régulier des enseignants. Certains d’entre eux savent bien que la recherche et l’innovation pédagogiques doivent s’ancrer dans une réflexion plus large de type sociopolitique.

Les écoles ont plus que jamais besoin d’enseignants qui en veulent, qui sont soucieux du sens à donner ou à redonner aux apprentissages à réaliser. Il s’agit pour cela de trouver et mettre en oeuvre les moyens pour assurer la formation d’enseignants pourvus d’un maximum de qualités intellectuelles, pédagogiques et personnelles.

Réussir à tous les niveaux un enseignement démocratique, c’est là que réside l’immense difficulté et que se pose le défi à relever.

Yvonne Charlier

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 A. PROST, Histoire de l’éducation et de l’enseignement, vol.4, Paris, 2004. A. Prost est un collaborateur régulier de la revue Sciences humaines.