L’enseignement a « mis le temps »

L’école est malade parce qu’elle ne peut s’empêcher de séparer les bons des mauvais, les nantis des laissés pour compte, son rôle de sélection lui collant à la peau… Penser concrètement l’« école du fondement » permettrait de jeter les bases de la construction d’un élève acteur de sa vie et de la cité.

Un des derniers ouvrages de François DUBET démontre la supériorité des traditions scolaires qui retardent au plus le moment de l’orientation et de la ségrégation entre les filières et ceux qui les fréquentent. Plutôt que de sélectionner, il s’agirait donc de jeter les bases d’une formation qui permettrait à chaque jeune de s’orienter ensuite valablement et positivement. “Apprendre à dire un monde commun.”Pour affermir les fondations d’une telle vie, il faut rejeter le moment d’une plus grande spécialisation aux portes du troisième degré, donc à l’âge de 16 ans.

Évidemment, proposer une période commune allant de la 5e primaire à la 4e année secondaire ne suffit pas, encore faut-il réfléchir à ce que l’on devrait y mettre et, surtout, comment figurer un parcours au sein de ces six années ?

De l’enfance à l’adolescence

Dans les objectifs poursuivis par l’école, deux en font l’essence même : enseigner et éduquer.

Dans l’éducation, nous pouvons mettre tout ce qui amène l’enfant à révéler, mieux connaitre sa condition d’humain, à appréhender non seulement tout le sens et l’importance de faire « Cité » avec les autres, mais aussi les codes qu’il sera amené à respecter pour vivre avec et pour les autres. Dans ce parcours devant « le conduire hors de lui, hors de sa condition “d’infans” », et l’amener à sa condition d’homme, on devrait retrouver des cours de sciences humaines, histoire, géographie voire aussi d’initiation à la vie politique de notre pays. On peut regrouper ces cours sous le label d’« éducation à la citoyenneté ». La finalité de toutes ces matières devrait permettre de développer, d’une part, le sens poursuivi lorsque l’on fait société et, d’autre part, l’apprentissage et l’acceptation de cultures différentes.

L’autre aspect que recoupe l’enseignement ouvre les esprits de celles et ceux qui nous sont confiés à l’espace symbolique, aux langages différents qui disent, décrivent notre monde environnant… Là aussi, c’est en quelque sorte apprendre à dire un monde commun. On y retrouverait tout autant l’approche des bases en mathématiques, sciences que la maitrise de la parole et de l’écriture, des mots et de la grammaire comme représentation du monde qui nous entoure. Sans oublier un apprentissage à l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et une éducation civique par rapport à celle-ci. Et dire, comme partager un monde, doit aussi se faire dans l’apprentissage du travail des mains, au travers duquel s’exprime aussi l’intelligence.

Apprendre en travaillant

Dans une grille ainsi pensée, il importerait également de permettre aux différentes matières de s’accrocher les unes aux autres, de s’éclairer et de se compléter l’une l’autre, en veillant ainsi à jouer sur la complexité des visions de nos mondes communs. Faire des mathématiques en cuisinant ou en cultivant une terre… S’exprimer dans les mots les plus appropriés pour décrire les gestes que nous posons lorsque nous développons des activités manuelles et techniques… Découvrir les apports des différentes cultures et des différentes civilisations dans les sciences universelles que nous partageons maintenant…

Se poser les questions du fonctionnement de nos sociétés en les rattachant aux problèmes qu’elles doivent résoudre et au sens qu’elles ont pour chaque être qui la compose (où l’éducation rejoint l’enseignement), comme le défi écologique ou bioéthique.

De telles grilles devraient mélanger les temps d’apprentissages théoriques et les temps pratiques. Les cours de musique ou d’éducation physique avec les temps d’abstraction, de théorisation. Les temps d’actualité avec ceux de découverte de nos passés croisés…

Évaluer pour avancer

Et tout cela pendant six années qui ne seraient scandées que par des moments de récapitulation de notions, d’analyse, de maitrise, qui progressivement amèneraient les enfants à utiliser davantage certaines capacités que d’autres, de développer plus une manière de dire et de construire le monde commun qui est le leur. Point d’épreuves éliminatoires, seulement des instants d’évaluation du chemin parcouru et des avancées dans l’un ou l’autre domaine comme des difficultés dans d’autres… Valorisant ainsi ce qui est maitrisé pour mieux convaincre de l’importance de développer en soi et pour soi aussi les autres voies dans lesquelles la difficulté se fait plus forte.

Co-opérer le changement

Il y a bien d’autres aspects sur lesquels nous devrions nous pencher, comme le nécessaire aménagement de temps d’échanges entre ces enseignants devenus les compagnons de route et les guides pour tous ces enfants. Il faudra aussi développer les coopérations avec les acteurs extérieurs comme les centres sportifs, les musées, les bibliothèques et les acteurs économiques pour les apprentissages plus manuels et techniques.

Tout cela est possible en partant de l’infrastructure actuelle, mais il faudrait pour cela une étape intermédiaire de regroupement par CES des différents pouvoirs organisateurs. Projet ambitieux certes, pas irréaliste cependant : c’est bien plus souvent une question de volonté que de réalisme.

Voilà le seul moyen d’éradiquer enfin l’échec comme une meurtrissure à jamais marquée dans l’esprit de celles et ceux qui en ont été les victimes…