Institutrice maternelle, j’enseigne
dans une « école à pédagogie
nouvelle ». C’est ainsi qu’a été
qualifiée l’école lors de sa création
dans le début des années 90.
Arrivée dans cette école, je me suis
mise avec intérêt au diapason des
institutions mises en place par le
directeur de l’époque et son équipe :
conseil d’école, conseil de classe,
conseil des profs… dans un système
de classes verticales. J’avais moi
aussi institué quelque chose : les
responsabilités.
Dans ma classe où les enfants de 3 à 5 ans
sont ensemble, je me suis vite aperçue
qu’un phénomène d’imitation prenait là
toute sa place. Les plus jeunes convoitaient
les responsabilités au même titre
que leurs ainés, mais étaient parfois limités dans leurs
possibilités de les assumer et avaient bien souvent besoin
d’aide. Pour rendre ces bonnes intentions réalisables, il
fallait pouvoir demander et offrir un accompagnement
dans un cadre institué et sécurisé.
Ma collègue m’avait parlé d’une appellation énoncée
dans sa classe à propos d’un enfant qui s’était illustré
par le soin qu’il mettait à veiller à prendre soin du lieu.
Il avait reçu de la part de ses pairs, le titre de « Gardien
de la petite maison ». C’était devenu sa responsabilité.
L’institution « Conseil de gardiens », lieu de rencontre
entre la demande et l’offre, entre le « Je me lance, mais
j’ai besoin d’être accompagné » et le « Je propose de t’accompagner
» découle directement de cet échange.
L’année dernière, un stage en PI m’a permis de
prendre conscience du fait que chacun n’est pas naturellement
« égal » devant le fait d’oser se lancer dans des
responsabilités. Cela m’a confortée dans l’idée que mon
rôle d’enseignante était de multiplier les occasions permettant
à chacun de se faire confiance pour s’impliquer
davantage encore dans les institutions mises en place et
cela, dans un souci d’égalité.
« On est pas naturellement égaux pour se lancer dans des responsabilités. D’où ma vigilance. »
Car, si dans ses premières années, l’école était essentiellement fréquentée par des enfants de parents ouverts à la nouvelle pédagogie, la
création d’un quartier de logements sociaux à proximité
de l’école a amené un nouveau public d’appartenances
culturelles et sociales multiples, moins au fait des
« nouvelles pédagogies ». D’où ma vigilance.
Au même titre que le « Conseil de classe ou d’école »,
le « Conseil des gardiens » est l’une de ces occasions
instituées qui permettent à tous de participer et d’agir.
Sur le plan du sens, ce que je vise, c’est que les enfants
puissent, dès leur plus jeune âge, prendre part,
dans un cadre défini, dans le respect des uns et des
autres. Ils prennent plaisir à jouer des rôles à travers
des jeux symboliques dans lesquels ils font semblant,
mais, dans les institutions mises en place dans la classe
et dans l’école, ils n’imitent pas les adultes, ils ont réellement
l’occasion d’expérimenter ces rôles dans la vie
quotidienne. C’est l’occasion pour eux de faire un premier
pas dans un groupe dans lequel ils vont pouvoir
assumer leur place, tenir des responsabilités. C’est l’occasion
aussi de prendre cette confiance en eux qui les
amènera à oser agir sur leur milieu, dans le respect des
droits et des devoirs que ce pouvoir implique.
« Être gardien », dans une classe verticale, quel que
soit son âge ou son origine socioculturelle, c’est possible.
L’essentiel est d’avoir son rôle bien en tête, d’être
en confiance pour demander de l’aide ou d’en offrir et
de grandir dans ce cadre où chacun peut prendre sa
place à sa manière.
Par exemple, un tout-petit qui souhaiterait devenir
« gardien du calendrier », mais qui ne se sent pas capable
de le mettre à jour, peut lors du Conseil, faire appel
à un enfant qui veut se lancer pour l’accompagner,
qui se sent capable.
À noter que chacun a l’occasion, s’il le souhaite, de
se lancer seul et de demander de l’aide hors conseil si
la difficulté est trop présente. C’est souvent là qu’interviennent
les « super gardiens » qui ont déjà fait leurs
preuves dans des domaines particuliers ; ce sont des
spécialistes reconnus par la classe lors des Conseils de
gardiens. En cas de souci rencontré, le gardien ou le
duo en difficulté peut aller chercher de l’aide chez un
« super gardien ».
Un gardien est donc un membre de la classe qui, seul
ou accompagné, a le rôle de veiller. Il s’engage à être
garant du bon ordre ou du bon fonctionnement d’un endroit,
d’un service, d’un matériel, d’une règle et à assumer
ce rôle pour le mieux vivre ensemble.
Il n’est pas systématiquement affecté à une tâche,
mais veille à ce qu’elle soit effectuée ; il vérifie si ce bon
ordre ou fonctionnement est respecté. Le « gardien du
vestiaire », par exemple, veille à ce que les vêtements
ou cartables soient à leur place pendant la journée et
soient tous repris par leurs propriétaires pour la sortie
de la classe. La parole lui est donnée pour rappeler
la règle quand il constate que c’est utile, par exemple,
après une récréation ou avant le retour à la maison.
Les enfants exercent un mandat d’une semaine renouvelable
une fois. Ils peuvent donc être gardiens d’un
même rôle pendant une durée de quinze jours maximum.
Les changements se font au Conseil des gardiens.
Les enfants qui ont terminé leur mandat d’une semaine
ont deux possibilités :
• ils retirent leur prénom et cela signifie qu’ils souhaitent
terminer ;
• ils prolongent d’une semaine : dans ce cas, ils laissent
l’étiquette de leur prénom sur le tableau et s’expriment
sur le fait qu’ils souhaitent poursuivre leur
rôle seul ou avec de l’aide, et cela en accord avec le
coéquipier… Ils peuvent aussi faire appel à un autre
coéquipier si le premier ne souhaite pas poursuivre.
Ensuite, les enfants qui ont retiré l’étiquette de leur
prénom sont invités à revenir auprès du tableau afin de
s’inscrire dans un nouveau rôle.
Ce moment est l’occasion de dire merci, d’exprimer les joies
et difficultés de la fonction ou de demander/offrir de l’aide
avant de se lancer. C’est aussi l’occasion de redéfinir la fonction,
de la préciser, de redire les règles qui peuvent d’ailleurs être rappelées au Conseil de classe suivant.
Le « Conseil des gardiens » dure une vingtaine de minutes et a lieu chaque semaine.
C’est le rythme à suivre pour que chaque élève puisse
s’essayer à un maximum de fonctions. Le « gardien du
Conseil des gardiens » commence par la relecture du
tableau établi la semaine précédente. Pour terminer le
conseil, il lit les phrases formées sur le tableau et, de
cette façon, il rappelle à chacun son engagement. Le
tableau est visible en classe et sert de rappel. Il y a aussi
une farde dans laquelle sont écrites les différentes fonctions
exercées par chacun depuis le début de l’année :
c’est la mémoire à long terme du conseil.
Dès leur arrivée dans la classe, les petits sont plongés
dans un monde où l’écrit a du sens, il sert, entre autres,
à garder des traces des décisions du conseil de la vie de
la classe. Si on ne se souvient plus, on pourra s’y référer.
Savoir lire donne du pouvoir, cela les plus jeunes s’en
rendent effectivement compte.
Cela fait deux ans maintenant que ce « Conseil des
gardiens » rythme la vie de ma classe. Je remarque que
le nombre de rôles varie régulièrement, nous ajustons
en fonction des besoins constatés. Le « Conseil des gardiens
» a un lien direct avec le « Conseil de classe ». C’est
souvent lors du « Conseil de classe » que les enfants ou
moi-même exprimons le besoin d’un nouveau gardien
pour telle ou telle fonction.
L’année dernière, nous avons terminé avec un total
de 15 rôles : gardien du tour de parole, du conseil
d’école, du conseil de classe, du bac de soupe, de l’horaire,
du calme, du vestiaire, des messages…
Je constate que, spontanément, une majorité de fonctions
de gardiens se font en duos. Les petits demandent
souvent de l’aide ou s’en voient proposer par les ainés.
Au moment de la rentrée de septembre, dans un premier
temps, nous vivons ensemble tout simplement.
Puis, en fonction des besoins énoncés par les enfants
ou par moi, en fonction de la mémoire collective de la
classe verticale, nous retrouvons le Conseil des gardiens
avec le tableau de l’année dernière ; nous redéfinissons
les différents rôles. Sont-ils encore utiles, y en
a-t-il d’autres à envisager ? Le tableau est mis à jour en
fonction des nouveaux besoins. Le Conseil peut alors
prendre sa vitesse de croisière : les offres et les demandes
peuvent se rencontrer, permettant à chacun de
prendre une place dans ce nouveau groupe. C’est aussi
le moment de voir si de nouveaux « super gardiens »
sont prêts à prendre la relève, car bon nombre d’entre
eux sont passés en primaire.