Réaliser son « avatar »[1]Avatar : à l’origine, issu de l’hindouisme, incarnation du dieu Vishnu sous forme animale ou humaine lorsqu’il agit sur terre. Dans le champ de l’Internet, désigne la représentation … Continue reading en classe, en réfléchissant tant à l’image qu’à sa création et à sa réception, apporte – peut-être – un peu plus de conscience aux gestes spontanés, voire irrépressibles, que les TIC entrainent en matière d’usage d’images.
L’usage des TIC renouvèle le mode sur lequel nous entrons en relation avec les autres et par la même occasion, renouvèle la perception que nous avons de nous-mêmes. Basée sur de nouvelles représentations, la manière dont nous apparaissons sur la toile et les réseaux sociaux oriente construction identitaire et relationnelle vers de nouveaux comportements passionnants à observer et à vivre.
Cette séquence a été menée par un centre de ressources en éducation aux médias[2]Centre Audio Visuel de Liège (CAV). avec divers publics : 6e primaire, 1re différenciée, groupe MFI (Module de Formation Individuel) du CEFA, groupe de femmes demandeuses d’emploi, ainsi que dans le cadre d’un cours de TIC en Haute École (futurs régents de toutes sections).
La première activité commence par un exercice de présentation de soi par l’intermédiaire de cartes Boomerang[3]Cartes postales publicitaires gratuites disponibles dans les restos, café, universités. Concept 100 % belge (http://www.boomerang.be).. Chaque membre du groupe choisit la carte qui le représenterait, qui de son point de vue, pourrait lui faire office d’avatar.
Une fois le choix de la carte effectué, chacun à son tour la montre à un autre participant et au vu du groupe, mais sans commentaire. Le participant observe la carte et doit en déduire des caractéristiques se rapportant à celui qui la propose. En fonction des éléments présents qu’il trouve signifiants sur la carte, il extrapole, fait des hypothèses à propos de la personnalité que l’autre validera ou non.
Un temps de structuration est pris pour réfléchir à la dynamique de communication type « téléphone sans fil » qui opère ici. Ainsi on met en évidence les enjeux de la phase d’appropriation d’un message, cette étape au cours de laquelle le récepteur d’un message devient émetteur de l’adaptation de celui-ci. Cette adaptation s’élabore par un jeu complexe d’éléments qui dépendent de la personne elle-même, des composantes formelles et informationnelles du message et de sa confrontation effectuée avec une réalité tangible.
Serge Tisseron avance la notion d’extimité comme facteur de la construction identitaire. Communiquer aux autres des parts intimes de soi entraine un feedback qui m’aide à me construire. Les médias en réseaux font que ce principe agit au-delà d’une sphère où les personnes sont en contact direct et donc capables de confronter représentations et « réalité » de la personnalité. L’absence de contact direct et la relation fantasmée qui le remplace posent parfois des problèmes en matière de respect d’image de soi, d’image de l’autre.
L’étape du choix de l’image est amusante à observer en termes de comportements. Un grand nombre de cartes sont disposées sur une table autour de laquelle les participants peuvent se placer, tourner, manipuler. C’est l’expérience de l’embarras du choix, qui donne l’occasion d’en parler par la suite. Choisir spontanément sur un coup de cœur ? Rationnellement en fonction d’un critère objectif ? Parce qu’on m’oblige à le faire ? À partir de cette petite mise en situation, on peut extrapoler à nos habitudes de consommateurs et à ce qui les influence.
La relation à l’autre est aussi présente. Au cours du choix, malgré la consigne, certains tentent d’influencer les autres : « Tiens Benoît, ça c’est pour toi, Ha ! Ha ! Ha ! » en mettant la carte dans la main de Benoît. Ou encore, en aparté, « Regarde ça, c’est vraiment pour Jacques ! Hi ! Hi ! Hi ! » (Dans les cas rapportés, l’exercice s’est fait avec des personnes qui se connaissaient).
Il est aussi intéressant de se demander si l’influence de l’autre joue (ou pas) dans la « stratégie » du choix. La conscience du public récepteur, dans ce cas, les pairs et l’animateur, oriente-t-elle le choix d’une représentation qui correspond à une image qu’on veut donner et qu’on sait ne pas être fidèle à ce que l’on est ? Vaste question…
Et lors de l’étape de présentation interprétation, les nuances, différences ou similitudes qui émanent de la confrontation entre projection du récepteur et validation de l’émetteur surprend souvent. L’effet boomerang sans doute !
Enfin, autre trait à mettre en évidence : les différentes modalités d’appropriation possible pour un même message. La carte publicitaire vante un produit, un spectacle… mais elle est ici utilisée en lien avec un autre référent et poursuit un autre objectif. Le signifiant va donc renvoyer à d’autres signifiés, du plus « 1er degré » au plus complexe.
Un temps d’observation et de débat à partir de photos de profil prélevées des réseaux sociaux permet de transférer la réflexion menée à l’imagerie de l’identité numérique dont les élèves ont une connaissance très intuitive. L’idée est de partir d’une pratique courante, menée par la plupart des jeunes, en faisant de ce savoir-faire une matière à réflexion. Le deuxième exercice consiste à créer son propre « avatar », son image de soi en en envisageant les paramètres. Quelles informations ce portrait va-t-il donner de moi ? Comment vais-je le formaliser ? Quel effet vais-je tenter de provoquer sur le récepteur et, par là, quelle relation est susceptible de s’établir entre lui et moi ? Pour objectiver cette notion d’effet, deux portraits doivent être réalisés ; l’un neutre type photo d’identité et l’autre, « mis en scène ».
Après un moment de réflexion, les élèves se mettent par deux et reçoivent une tablette ou utilisent leur Smartphone. Ils doivent se donner mutuellement les consignes de réalisation de leurs quatre portraits. Cette étape ajoute une difficulté, car la tendance actuelle en matière de portrait est plutôt au selfie spontané. Ici il faut anticiper la chose et en verbaliser la description. Prendre conscience du sens pour le communiquer, et sans doute aussi en le communiquant. Néanmoins, à un moment ou un autre, la plupart des participants, jeunes et moins jeunes, ne résistent pas au réflexe du sel/welfie, la bouche en cœur et les doigts en V.
La notion de mise en scène donne l’occasion de préciser les caractéristiques de l’image ; ce qu’elle montre et comment elle le montre. Il y a la mise en scène du personnage : sa posture, son expression, des accessoires (vêtements, objets) éventuels et la mise en scène de l’image : l’angle de prise de vue, la composition, le cadrage, la lumière.
Au terme de la prise des photos, chaque couple les exporte par Bluetooth vers l’ordinateur. Les portraits sont projetés et commentés, d’abord par ceux qui les regardent puis par leurs auteurs. Afin de susciter un commentaire plus structuré et précis que ce qui s’exprime spontanément par des onomatopées, des rires et autres expressions familières, on repose la question de l’exercice d’ouverture : que peut-on dire de la personnalité de « x » en voyant ce portrait ? Et on demande l’avis de l’auteur à ce propos ainsi que sur la cohérence entre son intention et l’effet produit sur le récepteur.
Viennent alors des observations dénotatives sur les éléments formels qui contribuent aussi à l’effet de l’image et à la représentation de son sujet. On utilise ici un vocabulaire spécifique et précis pour décrire les degrés de l’échelle des plans, la disposition spatiale, les plongées et contre plongées, les contrastes de lumière et de netteté, notions que les élèves aiment apprendre ou préciser.
On en profite pour faire observer tout ce qui se trouve dans l’image et qu’on n’a pas voulu nécessairement montrer. Les arrière-plans réservent des surprises ; on y découvre des objets incongrus, des figurants pris à leur insu. C’est l’occasion de faire constater que sur l’image projetée, on peut regarder des éléments qui passent d’habitude inaperçus et de faire remarquer que Noëlle qu’on voit faire la fofolle à l’arrière-plan supérieur gauche n’a peut-être pas envie d’être vue et qu’elle a même le droit d’exiger de ne pas l’être.
Le numérique entraine de nouveaux comportements qui peuvent être répartis en trois préoccupations : les technologies, le message, l’homme. À l’école, l’essor économicotechnique assure l’équipement « machine » des écoles et des cours disciplinaires.
La discipline ou la prévention (de type ambulance et d’esprit sécuritaire) ont pris en charge les conséquences problématiques liées aux messages et aux hommes.
L’éducation aux médias — dont le sens est devenu obscur pour beaucoup, mais qui par ailleurs réclame plus d’esprit critique et d’éthique dans le domaine des TIC — propose ici un recul structurant et réflexif lié aux enjeux de la médiatisation de soi. En classe, ensemble, repenser le geste compulsif que la technique suscite et reprendre la main sur le sens du message, avant que le pouce ne le dissémine, devrait être profitable aux pratiques individuelles.
Notes de bas de page
↑1 | Avatar : à l’origine, issu de l’hindouisme, incarnation du dieu Vishnu sous forme animale ou humaine lorsqu’il agit sur terre. Dans le champ de l’Internet, désigne la représentation choisie comme symbole de l’identité numérique (photo de profil, nom, personnage de jeux vidéos). |
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↑2 | Centre Audio Visuel de Liège (CAV). |
↑3 | Cartes postales publicitaires gratuites disponibles dans les restos, café, universités. Concept 100 % belge (http://www.boomerang.be). |