S’autoriser, pour ne pas laisser à d’autres, le droit de faire à notre place…
Donner aux enseignants la possibilité de faire appel à des intervenants extérieurs est de plus en plus fréquent. L’on espère, d’une part, favoriser ainsi une plus grande ouverture de l’École au « monde culturel ». D’autre part, pour de nombreux artistes au statut précaire, cela peut être une opportunité de rémunération. On ne peut que s’en réjouir !
Pour autant faut-il inciter à l’introduction d’intervenants extérieurs dès l’école maternelle ? Il y aurait, là, l’acceptation du morcèlement de l’éducation des plus jeunes de notre système scolaire en Communauté française. La formation de l’enseignant préscolaire est encore polyvalente ! L’argumentation « L’artiste est un créateur, l’enseignant est un pédagogue. » qui est utilisée par les tenants, pour faire entrer l’art à l’école, ne me semble donc pas d’application pour l’éducateur dans le préscolaire.
Cette opposition entre l’enseignant et l’artiste me semble aussi une dérive antidémocratique. Elle ferme la porte à ceux qui prennent du plaisir à pratiquer « des Arts » et à en faire bénéficier les enfants qu’ils éduquent.
J’ai donc pris l’option de mener les activités artistiques, dans ma classe, par moi-même ! En essayant, autant que peut se faire, de lier théorie et pratique. Car, faut-il le rappeler, « On vient toujours de quelque part ! » Ainsi, c’est le regard de l’adulte qui détermine la finalité des activités spontanées des enfants. En témoignent, par exemple, les différents noms destinés à définir les activités lorsque les enfants transforment des objets : travaux manuels, arts plastiques, activités constructives, activités plastiques…
Pour éviter les débats stériles, mieux vaut savoir dans quel jeu on joue… Il y a les tenants de l’imposition et ceux du spontané. Les premiers prônent la reproduction d’un modèle conçu, à l’avance, pour permettre à chaque enfant d’obtenir un produit fini. C’est rassurant pour l’adulte. Le produit fini correspond à ses attentes. Il a le sentiment d’être égalitaire. Tous les enfants ont « fait quelque chose ».
Mais bien souvent, on reste coincé dans la répétition. Bien sûr, la répétition et l’automatisation sont à la base de nombreux apprentissages, mais le but de chaque conquête par l’enfant est, en définitive, l’autonomie d’action et de pensée.
À l’opposé, il y a ceux qui, pour ne pas brimer l’épanouissement de l’enfant, interviennent peu ou pas du tout. En conséquence, uniquement les plus « doués » terminent leurs productions.
La démarche qui m’a suivie tout au long de ma carrière n’est ni l’une ni l’autre. Avoir moi-même un tas de propositions en poche, les sortir en temps voulu, cela m’a permis d’encourager les enfants à aboutir dans leurs projets. Les regarder m’a aussi beaucoup aidée à trouver des idées !
Ainsi, Alison à 3 ans s’empare d’une longue aiguille à coudre qu’elle maintient par le chas. Elle pique l’aiguille, dans un ruban mince, qu’elle tient dans l’autre main et obtient, par de nombreux pliages successifs dans le ruban, un pliage en accordéon dont l’axe central est formé par l’aiguille.
Alison comprend la fonction partielle de l’aiguille. Elle me donne l’idée de proposer cette façon originale d’enfiler des lanières en plissages pour d’autres fabrications : fleurs, fléchettes, décorations de tables.
Des artistes des mouvements DADA et surréalistes ont eux-mêmes imité les enfants, dans leurs démarches. J’ai donc aussi songé à « Rendre à CESAR ce qui revient à CESAR. » lors des activités artistiques et à faire place à leurs œuvres, dans ma classe. À la suite de ces artistes que j’ai appris à découvrir, j’invite les enfants à jouer avec le hasard, le détournement, la mise en commun, pour les aider à progresser. Tout cela, sur les traces d’André BRETON, de Christian DOTREMONT, de Max ERNST et de tant d’autres. Cela permet aux plus jeunes de découvrir des adultes qui font partie du patrimoine artistique.
Voici quelques exemples d’activités [1]Ces exemples sont extraits des deux livres de Mathilda VAN DER BORGHT, « Agir avec les mains, agir avec les arts plastiques », Labor 1994 et « Jouer avec DADA, jouer avec les surréalistes », … Continue reading qui m’ont permis de mettre les enfants au travail, à partir de ce que je découvrais d’eux en les observant. Je suis ainsi partie de ce qu’ils font spontanément, pour les amener à aller plus loin, en leur proposant des pistes et des possibles nouveaux.
Beaucoup d’enfants aiment jouer dans la terre et la boue, certains jettent de la terre ou du sable à la tête des autres. Partir de ce gout et de ces gestes, et proposer d’utiliser cette terre pour faire œuvre d’art. Explorer la matière, l’adhérence ou non au papier et à la colle, s’inspirer des tableaux de sable d’André MASSON pour créer ses propres tableaux !
Lorsque les déchets de papier deviennent trop nombreux, faire observer les formes, chercher des similitudes. S’inspirer de l’usage fait par Jean ARP d’un déchet de papier journal. Récupérer un papier chiffonné, chercher et comparer des techniques pour faire ressortir les nervures provoquées par les pliures, observer comment a fait NOVAK pour partir de cette structure hasardeuse. Regarder, d’un œil neuf, ce qui semblait être un raté, une chose au rebus.
Les enfants sont attirés par les monstres et aiment écouter leurs histoires. Les monstres sont nombreux en peinture. J’aime partir du tableau de Marx ERNST, « L’ange du foyer », notamment parce que son titre contradictoire est propice à la discussion. Les enfants parlent facilement de « leur monstre », le gluant, celui à quatre têtes, le dragon, le vampire et les échanges enrichissent facilement les images de chacun. Ensuite, chacun a envie de représenter le monstre qui viendra peupler le château hanté de la classe.
Que ce partage d’expériences vécues puisse encourager les enseignants à garder les rennes des activités artistiques ! La personne titulaire de la classe est sécurisante pour les enfants. C’est elle, qui grâce à la durée, la fréquence de sa présence auprès du groupe, est le meilleur garant pour intégrer les erreurs, les échecs des enfants dans des apprentissages positifs. Elle est donc, dans le préscolaire, la plus apte à être un passeur culturel.
J’ose donc, à mon tour, dire que je crains de voir, dans l’incitation à introduire des aides ponctuelles dans le préscolaire, une manifestation du pouvoir politique d’affaiblir la qualité du service public. Il pourrait ainsi chercher à se dédouaner de négliger la formation des enseignants du préscolaire.
Pourtant une formation universelle, éclectique, soucieuse de considérer l’art, la culture non comme un loisir, mais comme un moyen d’acquérir des compétences est à mon sens un garant pour aider les enfants à faire face aux difficultés et de prendre confiance en eux ! Nos enfants n’en vaudraient-ils pas la peine ?
Notes de bas de page
↑1 | Ces exemples sont extraits des deux livres de Mathilda VAN DER BORGHT, « Agir avec les mains, agir avec les arts plastiques », Labor 1994 et « Jouer avec DADA, jouer avec les surréalistes », Aden, 2010. |
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