Les logiques de remédiation sont critiquées. Elles consistent, souvent, à faire refaire les mêmes exercices. Elles séparent les élèves en difficulté des autres avec le risque de transformer des dispositifs d’aide en dispositifs de sélection. De surcroit, les résultats de ce genre de dispositifs sont, pour le moins, mitigés.
Je voudrais montrer qu’il est possible d’envisager autrement les remédiations, en instaurant des formes de médiation réellement différentes, afin de surmonter les difficultés qui avaient résisté à un enseignement antérieur.
« Les élèves ne savent pas bien en quoi consistent leurs difficultés. »
Pour ce faire, je prendrai appui sur une démarche[1]Voir, le premier article que j’avais consacré à cette question, « Améliorer l’orthographe au Collège », Pratiques n° 46, juin 1985. que j’avais expérimentée à la fin du collège [2]Regroupant, en classes de quatrième et troisième, des élèves entre 13 et 15 ans.en milieu défavorisé. Elle me paraît encore valable, dans la mesure où des collègues ont pu, par la suite, la reproduire avec des résultats identiques. Si cette démarche concerne l’orthographe, les principes à l’œuvre sont adaptables à d’autres contenus[3]Sur cette question, voir aussi mon dernier ouvrage : Comprendre les pratiques et pédagogies différentes, Berger-Levrault, 2021. .
Il s’agit d’abord de construire un constat partagé autour de deux points. D’abord que les élèves qui n’avaient pas de problèmes en orthographe à l’école primaire n’en ont toujours pas et ceux qui en avaient les ont conservés. On peut donc dire que, parfois, des années de leçons et d’exercices ne servent à rien.
Et aussi, qu’ils ne savent pas bien en quoi consistent leurs difficultés (leurs réponses oscillent entre « je ne sais pas » et « je suis mauvais en tout »). Il paraît donc difficile d’agir sur des problèmes non cernés.
Cela débouche sur la proposition de travailler autrement et sur un engagement de ma part : ils progresseront à coup sûr s’ils travaillent en suivant la démarche proposée.
L’enseignant doit relever les problèmes que rencontre chaque élève autour de trois axes : les erreurs récurrentes, leur lieu (début/milieu/fin d’écrit), leur espace disciplinaire (en orthographe/en français/dans les autres disciplines). Cette seconde phase est la plus lourde pour l’enseignant.
Pour cela, j’avais collecté pour chaque élève, un corpus de ses écrits constitué par quelques dictées, d’autres écrits du cours de français et dans d’autres disciplines. Les erreurs sont relevées le plus précisément possible : ainsi il n’est pas question de dire qu’un élève confond lettres simples et lettres doubles, mais de savoir quelle lettre il confond, dans quel sens (double devenue simple ou l’inverse, dans quel contexte…). Ces erreurs sont ensuite classées, indépendamment de toute grille préalable, afin d’être au plus près des pratiques des élèves. Les trois erreurs les plus fréquentes sont retenues. Les écrits sont aussi divisés en trois parties afin de voir si les erreurs sont également réparties ou si elles sont situées plutôt dans l’une des parties. Les écrits dans les différentes disciplines sont encore comparés, afin de voir si les erreurs sont en nombre équivalent dans ces différents contextes.
Ce travail repose sur quelques hypothèses :
La suite de la démarche est moins lourde pour l’enseignant. Elle est à la fois différenciée, dans la mesure où chaque élève a des précisions sur ses propres difficultés, et coopérative, dans la mesure où les élèves travaillent en binôme. Si le binôme réunit un élève en difficulté et un autre qui ne l’est pas, le tutoré bénéficie de l’expertise et des explications du tuteur qui, de son côté, doit apprendre à se décentrer, à expliquer, à rechercher des exercices… Si le binôme réunit deux élèves aux difficultés différentes, chacun doit se décentrer et réfléchir aux aides possibles pour l’autre, ce qui l’amène à réfléchir d’une manière différente et à constater qu’il a réussi à surmonter certains problèmes sur lesquels bute son coéquipier. Si le binôme réunit deux élèves aux difficultés identiques, outre le constat qu’ils ne sont pas seuls à être confrontés à certains problèmes, ils sont amenés à co-construire leurs solutions, voire à mieux comprendre les sources, communes ou non, de leurs erreurs.
Les élèves travaillent sur leur difficulté principale pendant au moins un trimestre, à l’aide d’explications mutuelles et d’un matériau mis à leur disposition ou qu’ils recherchent eux-mêmes : exercices de manuels, jeux de magazines, exercices qu’ils inventent…
Le travail de l’enseignant consiste à suivre le plus attentivement possible l’activité de chacun, d’aider, de répondre aux questions, de proposer… en sachant garder ses distances pour manifester la confiance qu’il accorde au travail des élèves.
À la fin de chaque trimestre, l’enseignant soumet une dictée aux élèves et collecte quelques-uns de leurs autres écrits. Il leur demande de se centrer, lors de l’écriture et de la relecture, sur leur difficulté principale et sur la zone textuelle concernée. Je dois signaler qu’au début de cette démarche, j’avais supprimé toute forme de dictée. Mais, lors d’un bilan de fin d’année, un élève a dit qu’avec moi on ne travaillait pas l’orthographe. Cela m’a conduit à réinjecter quelques dictées afin de tenir compte de la relation forte que nombre d’élèves (et leurs parents) établissent entre ces exercices et l’enseignement de l’orthographe.
À cette évaluation individuelle s’ajoute une évaluation collective exposée sous forme d’affichage sur un des murs de la classe. Ce tableau relève si la difficulté, sur laquelle chaque élève a travaillé, a été surmontée (en totalité ou en partie) ou non.
Cela marche bien, mais pourquoi ? Je propose l’hypothèse suivante : tous les principes mis en œuvre concourent à lutter contre l’insécurité qu’éprouvent élèves et familles de milieux défavorisés face à l’école.
Tout d’abord, il existe une absence de stigmatisation et une revalorisation symbolique dans la mesure où les erreurs sont posées comme légitimes : elles ne constituent pas la marque d’une déficience, mais une base de travail. Les élèves appréhendent encore qu’ils ne sont pas les seuls à rencontrer des difficultés, qu’ils ont résolu certains problèmes sur lesquels d’autres butent et que, finalement, le noyau de leurs difficultés est restreint.
Un temps adapté à chacun, un objectif circonscrit ainsi que l’allègement de la pression évaluative contribuent à réduire le stress. La coopération, au travers des multiples formes d’aide, d’entraide et d’explicitation, de l’enseignant et de leurs pairs, participe encore de cette sécurisation rompant ainsi l’isolement des élèves, seuls face à leur échec. J’ajouterai à cela la clarté quant aux difficultés de chacun, à la démarche suivie et aux progrès individuels et collectifs.
Je mentionnerai enfin la prise en compte des représentations et l’engagement de l’enseignant. En effet, combien de fois des enseignants ont répété aux élèves qu’il fallait qu’ils travaillent pour progresser, mais sans que l’enseignant prenne le risque de s’engager et sans que cela produise d’effets ? On comprend mieux alors la légitimité des résistances et le manque de confiance en l’école.
Notes de bas de page
↑1 | Voir, le premier article que j’avais consacré à cette question, « Améliorer l’orthographe au Collège », Pratiques n° 46, juin 1985. |
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↑2 | Regroupant, en classes de quatrième et troisième, des élèves entre 13 et 15 ans. |
↑3 | Sur cette question, voir aussi mon dernier ouvrage : Comprendre les pratiques et pédagogies différentes, Berger-Levrault, 2021. |