Repenser à un apprentissage qu’on a vécu. Écrire là-dessus. Se pencher sur ce qui m’a permis d’apprendre, là, dans l’eau. Grand écart entre deux milieux, saut dans l’inconnu.
C’est loin de l’école, dans une piscine.
C’est loin des collectifs de militants et des combats pour une école moins injuste, un groupe d’adultes qui cherche à se faire du bien, à soi, aux autres.
C’est loin d’un apprentissage intellectuel, c’est corporel, avec en filigrane, une recherche de son humanité. Ce n’est pas si simple de se lâcher, de ne pas se regarder de l’extérieur, de mettre son corps à l’honneur.
Il y a un cadre éthique qu’est le tantra. L’essence du tantra, c’est de dire oui à tout ce qui se présente.
Se jeter à l’eau ?
Malgré la proposition, j’ai hésité. Je ne suis à priori pas à l’aise avec la nudité. Je sais nager, mais je ne suis pas une dingue des piscines.
J’ai été sensible à l’invitation. La confiance de cette personne plus forte que celle que j’ai en moi-même, ça m’a aidé à faire tomber mes barrières. Ça fait un peu tata, mais la confiance, ça donne des ailes.
Je me suis demandé ce que j’avais à gagner et à perdre dans cette histoire-là ? Deux questions liées à la motivation de se risquer dans un nouvel apprentissage, qu’on se pose inconsciemment ou pas. L’enjeu ici pour moi d’oser me pencher un peu sur mon je. Assumer de prendre du temps pour le plaisir, pour soi, pour je ne sais encore quoi d’autre. Aller ailleurs, dans l’inconnu, avec des inconnus. Je vais essayer, tenter, oser, expérimenter…
L’espace est soigné : privé, propre et chaud. Un éclairage bienveillant. Des gens nus qui ne déshabillent pas les autres du regard. Un immense respect. Un garant, responsable du groupe, qui a de l’expérience, qui a cherché beaucoup pour lui et qui transmet aux autres.
Je me sens dans un monde inversé par rapport à la vie sociale ordinaire où pour entrer en contact, on parle, on se dit son métier, sa situation familiale, on se touche peu. Ce sera pour plus tard, quand on se connaitra mieux. Ici, on ne sait rien des autres, mais on entre directement en contact physique en bougeant en binôme (ou plus) dans l’eau, milieu qui facilite les mouvements.
Une heure de travail appelé expension avant d’aller dans l’eau. La lenteur et la respiration sont au centre du travail corporel.
Les consignes pour les exercices individuels, par deux ou en grand groupe sont dites et montrées. Un temps pour observer et poser des questions avant de faire. Peu de mots, mais qui font entrer en soi, qui rassurent, qui autorisent. La confiance donne vraiment des ailes… Quelques mots sur l’intention de l’exercice et beaucoup de liberté. Avec des aménagements possibles pour les plus raides, les plus élastiques. Différenciation ?
Avec l’idée que chacun est responsable de ne pas se faire mal. Se forcer à ne pas forcer pour faire aussi bien ou mieux que les autres. Pas de compétition ni d’évaluation.
Le temps est un allié. Écouter, regarder et faire. Et puis revenir sur en parlant. Ne pas faire l’économie du réflexif.
« Quand vous ouvrirez les yeux, pensez que ce qui est autour de vous, les murs, les fenêtres vous regardent. Laisser votre regard à l’intérieur. »
Et, moi qui suis si terre-à-terre, au milieu d’inconnus, je laisse ces mots me pénétrer et je comprends que qualifier le regard avant d’aller dans l’eau va permettre de ne pas se sentir nue même déshabillée.
Deux ou trois exercices pour sentir comment bouger dans l’eau.
Marcher en rond main dans la main. Demi-tour. L’eau est forte. Il faudra faire avec pour danser avec les autres.
Pour avancer, penser bassin plutôt que pied et les déplacements sont plus aisés.
Pour rester sous l’eau, ne pas exagérer l’inspiration avant d’aller au fond. Remonter quand on veut. Pas de record à battre, faire comme on peut.
Pour flotter, c’est plus facile dans l’eau chaude.
Pas plus d’un nouveau dans le groupe. Regarder comment les autres bougent. Les anciens accompagnent les plus novices. Les pairs sont soutenants.
La première fois, je ne savais pas trop quoi faire de mon corps et de ceux des autres. Une participante a utilisé le mot danser, j’ai pu m’y accrocher, car danser, je connais. Mais ici pas de chorégraphie préétablie, place à l’improvisation avec l’autre ou les autres.
Après ces quatre heures où les corps sont à l’honneur, un temps de parole qui ressemble à l’institution Ça va ça va pas. L’occasion de mettre des mots sur les activités vécues ensemble, avant de se quitter après avoir partagé un repas auberge espagnole.
Qu’est-ce que tout ça a à voir avec l’école ?
Ceci n’est pas un plaidoyer pour faire plus de place au corps à l’école, même si je suis convaincue qu’on ne peut pas réduire les élèves à leur tête et à leurs émotions… J’ai tenté de tirer des fils de cet apprentissage récent que j’ai vécu comme apprenante, en retirant les ingrédients pédagogiques que j’ai pu relever dans ce dispositif piscine. Ce qui m’a frappé, au-delà du dispositif préparé et soigné, ce sont les fondamentaux relationnels sous-tendus dans la posture du maitre qui invite les participants à se lâcher : le tous capable est là.
Et s’il y a un moment de parole, c’est en lien avec le travail fait avant, ce qui me semble plus juste que de dédier des temps où les apprenants s’expriment seulement sur leurs émotions. La reconnaissance tirée d’un travail vécu me semble plus porteuse.
Pour beaucoup d’élèves, le milieu scolaire est aussi un monde inversé par rapport à ce qu’ils connaissent dans leur vie. Reconnaitre devrait être au centre du travail des maitres, sans cela on ne peut rien exiger, dans cette fameuse tension aux deux pôles désirables…