Maths et Automaths

Comme le football est dans l’air du temps, considérons la question de l’échec en maths en observant le tireur d’un pénalty. Le voici seul face au gardien, tout le monde attend qu’il marque.

S’il échoue, il sera confus et critiqué. En revanche, le gardien n’a rien à perdre : s’il encaisse le but, nul ne lui en tiendra rigueur; mais s’il bloque le ballon, il sera glorifié. Eh bien le tireur de pénalty, c’est l’élève face à un exercice : il est censé réussir!

Reproches et félicitations

S’il échoue, il essuiera des reproches, de l’institution tout d’abord puis de sa famille. Imaginons à présent qu’en lieu et place d’un exercice, ses maitres lui soumettent cette fois une énigme : ce même élève se retrouvera alors dans la situation du gardien de but ! S’il ne la résout pas, nul ne lui adressera de reproche, mais s’il trouve la solution il sera félicité.

L’exercice suit donc le savoir, l’énigme le précède.

Par ailleurs, en demandant à un élève de restituer mécaniquement un apprentissage, les exercices risquent de faire de lui ce que Stella Baruk nomme un automath. L’énigme, au contraire, n’est pas là pour sanctionner le savoir d’un élève, mais pour développer sa réflexion, sa déduction, son imagination. Puis, vient le temps de tirer les enseignements qui découlent de sa solution. L’exercice suit donc le savoir, l’énigme le précède.

Mais, il existe une autre différence entre ces deux outils, plus subtile encore. L’énigme en effet, parce qu’elle convoque souvent dans son récit des personnages, des animaux et des situations concrètes, s’ancre dans la réalité, prêtant ainsi le flanc à l’interprétation. Une fois qu’on révèle la solution à un individu qui a longtemps cherché celle-ci en vain, il n’est pas rare en effet que ce dernier se mette à contester le résultat. Ce faisant, il fait des maths sans le savoir ! Et, de surcroit, d’une façon tout à fait inédite puisque les mathématiques, précisément, sont les grandes absentes des polémiques sociétales. Que ce soit sur les réseaux sociaux, entre amis ou sur les plateaux télévisés, tout le monde en effet débat sans scrupule de virologie, de climatologie, de géopolitique, d’économie ou de littérature, mais jamais de… mathématiques ! Et c’est très regrettable. Car le débat oblige celui qui veut défendre son point de vue à comprendre la position d’autrui, avant de la combattre en apportant des arguments convaincants.

Légitimité

Qu’il me soit permis, pour poursuivre cette réflexion, d’évoquer ici une situation personnelle où la polémique s’est justement emparée des mathématiques. Venant de coécrire un ouvrage sur les maths alors que je ne suis aucunement mathématicien, je me suis retrouvé, dans le cadre de la promotion de ce livre, face à un public auquel j’ai exposé toutes sortes d’énigmes associées à des curiosités arithmétiques ou géométriques. Et comme j’ai dû expliquer certaines d’entre elles, je me suis donc mué un instant en professeur de mathématiques, tout en précisant (et nous allons voir qu’il s’agit, là, d’un point capital !) que je ne possédais aucun diplôme dans cette matière. Mon public d’un jour, sachant donc qu’il n’avait pas affaire à un véritable professeur, s’est donc senti autorisé à contester certaines de mes démonstrations (notamment les moins intuitives, comme la fameuse somme de Ramanujan ou bien la différence de grandeur des infinis). Cette querelle, tout à fait surprenante dans le cadre d’un cours de maths, a eu un formidable effet didactique en nous obligeant à tour de rôle à argumenter, démontrer, raisonner, faisant chacun appel à toutes sortes de notions pour prouver la justesse de nos dires.

Émancipation

Que les choses soient claires, il ne s’agit nullement de prôner la contestation systématique ni la remise en question du savoir du maitre par ses élèves. Cependant, il est indéniable que dans certaines mises en situation, le débat, la controverse, le désir d’avoir à tout prix le dernier mot nous poussent à chercher (en nous ou hors de nous) des arguments et des raisonnements que nous ne serions jamais allés chercher autrement. Voilà matière en tout cas à émanciper les élèves automaths !