McKinsey a encore frappé !

Les rapports McKinsey sur l’École jalonnent l’histoire récente de notre enseignement. Ils sont utilisés, ou ignorés, par les politiques de tous bords. Selon qu’ils servent leurs priorités du moment, ou pas. Ils ont aussi un certain poids dans les débats par les idées, questions et enjeux qu’ils mettent en avant. Ils proposent une vision du système éducatif et de ses finalités qu’ils souhaitent faire partager le plus largement possible. Aussi, on ne compte pas les tribunes, prestigieuses ou modestes, où leurs « résultats » sont présentés.

Tout récemment, le Conseil de l’éducation et de la formation (CEF) avait invité l’expert de McKinsey, Monsieur Denoël, à traiter d’un beau sujet : « L’enjeu des directions d’écoles fondamentales ». Appuyé sur un « power point » très documenté, son exposé a balayé très large. On s’arrêtera ici à deux aspects de la question.

Un rappel très utile : les « besoins urgents et significatifs » de Bruxelles. Pour faire face à l’accroissement de la population scolaire d’ici 2020, il s’agit de créer 45 écoles maternelles de plus ou moins 200 élèves, 42 écoles primaires d’environ 500 élèves et 12 écoles secondaires de 1 000 élèves. Rien que ça ! L’auteur résume par la formule : « Ouvrir une école chaque mois pendant 8 ans »… On sait que (presque) toutes ces écoles seront situées dans des quartiers populaires où l’indice socio-économique est faible. Jusqu’ici les réponses politiques à ces urgences sont, elles aussi, faibles : des conteneurs !

Deux : une approche pour le moins contestable des « enjeux de société ». Sous le titre « les directions du fondamental au cœur des enjeux de société », on découvre autour d’un cœur de cible « enjeux de société liés à un enseignement performant » (ah ! ce « performant » qui en dit long) une énumération qui est aussi une hiérarchie d’enjeux :

1. Accélérer le développement économique (+ 40 points Pisa= + 0,9% de croissance du PIB/habitant). (Nda : si, si, c’est automatique… et souhaitable bien sûr !)

2. Renforcer la cohésion sociale (diminuer le risque de pauvreté)

3. Améliorer la santé, le bien-être, l’estime de soi (vivre plus longtemps en bonne santé)

4. Diminuer la criminalité et les coûts de la justice (90% des détenus sont faiblement instruits)

5. Renforcer la démocratie et la citoyenneté (l’enseignement peut réduire les risques de manipulation politique, commerciale, religieuse, …).

Tout cela « texto ». À chacun de juger. Mais ça a le mérite d’être clair : Mesdames et Messieurs les directeurs, instituteurs et autres acteurs, « accélérer le développement économique », voilà votre boussole, votre feuille de route, votre mission !

Pour ne pas être trop long (ou trop critique), on se contentera de rappeler à McKinsey que l’École a des missions qui ont été fixées par le législateur et adoptées à l’unanimité des partis démocratiques :

1. Promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves

2. Amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle

3. Préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures

4. Assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale.

C’est très (trop ?) ambitieux. C’est en tout état de cause bon à rappeler… puisque certains assignent à l’institution d’autres missions très réductrices. Et puis on constate que ces missions (qui datent de 1997) sont ignorées par bon nombre de citoyens et d’enseignants !

L’École avait déjà une fameuse agence de notation : l’OCDE et ses fameux rapports Pisa. Voilà que McKinsey en remet une couche en instrumentalisant les résultats de ces enquêtes. Dont l’enseignement essentiel, pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, est que le grand défi à relever est de faire chuter l’écart colossal entre les résultats des élèves « forts » et ceux des élèves « faibles ». Un écart qui nous met au dernier rang des nations développées !

Un seul remède : consacrer les meilleures forces et les moyens nécessaires (dont de nouvelles conditions de travail) aux écoles fréquentées par les élèves faibles et le plus souvent pauvres.