La Culture de paix, c’est le souci de la qualité dans la relation, l’attention portée à ce qui existe « entre ». Entre le singulier et le pluriel. Entre l’adulte et l’enfant. Entre le quartier et la ville. Entre les régions. Entre pays voisins. Entre le proche et le lointain.
Singulier, pluriel, individuel, collectif, autant de termes familiers qui semblent couler de source. On les retrouve en grammaire, en psychologie, en pédagogie, dans le travail social, la sociologie, en passant par le monde du sport, de l’entreprise, de l’école.
Notre mémoire scolaire avait retenu que le singulier et le pluriel étaient deux entités diamétralement opposées. C’est un peu par hasard que nous sommes arrivés à l’idée qu’ils n’étaient pas aussi éloignés l’un de l’autre qu’ils en avaient l’air et que des ponts pouvaient être jetés entre eux. Sans doute parce que Stéphane HESSEL nous a offert le concept d’« interdépendance »[1]Trois défis pour un monde juste, Libération, 9/9/2005. En outre, le Collegium international propose l’adoption par l’Assemblée générale des Nations unies d’une Déclaration universelle de … Continue reading. Il nous a paru lumineux et propre à être le thème des moments de réflexion que nous animons pour un groupe formé d’enseignants de l’élémentaire et d’éducateurs de maisons de quartier de notre ville. C’était une manière de donner un contenu conceptuel et pratique à la notion de Culture de paix qui est notre préoccupation première dans ce groupe.
L’UNESCO la présente ainsi pour ouvrir la décennie 2000-2010 pour la Culture de paix : « La paix n’est pas simplement l’absence de conflits, mais est un processus positif, dynamique, participatif qui favorise le dialogue et le règlement des conflits dans un esprit de compréhension et de coopération mutuelles. »
Quelles situations de travail collectives imaginer pour que ces questions cruciales soient abordées dans un cadre où rigueur et imaginaire se mêlent, où la réflexion se construit progressivement entre les acteurs et dans la complexité ?
Nous donnons ci-dessous un exemple vécu de ces situations appelées « ateliers » : l’atelier J’aime, j’aime pas, mais je fais avec[2]Il en existe plusieurs variantes, notamment dans L’art et la littérature en classe d’espagnol, Maria-Alice MEDIONI, Chronique sociale, 2005.. Dans celui-ci, on travaille sur la notion de refus et on explore comment, en passant par des matériaux plastiques et en les détournant de leur utilisation habituelle, on peut, parce qu’on travaille à plusieurs, trouver un dépassement à ce qui bloque et entrer en contact autrement avec ce qui ne fait pas vibrer par gout ou par habitude culturelle.
Chaque table de trois personnes dispose d’un type de matériau (par exemple, craies grasses, encres et plumes, crayons papier et sanguines, gouaches et pinceaux, crayons-feutres, papiers de différentes textures, etc.). On explore le plus possible d’usages plastiques non conventionnels de ces matériaux. Chaque table présente ses explorations.[3]Pour en savoir plus sur ce type d’entrée en matière, lire l’atelier Dubuffet Paysage mental dans Pratiquer le dialogue arts plastiques, écriture, O. et M. NEUMAYER, Chronique sociale, … Continue reading
Des reproductions de peintures (format carte postale) sont présentées au grand groupe. Prévoir une cinquantaine de cartes. Chacun repère celle qu’il aime le moins, qui lui déplait le plus et la prend. Il écrit sur un carton de même format ce qui lui déplait dans cette reproduction et pourquoi. Mise en commun en grand groupe.
Retour au groupe initial de trois personnes. Chacun va devoir maintenant travailler avec ce qu’il n’aime pas et produire plastiquement sur un format A4. Il est aidé en cela par les conseils des deux autres membres : « Tu n’aimes pas ça, mais tu pourrais le détourner, le transformer, le renverser en faisant telle ou telle autre chose. » Chacun nomme sa production sur un cartel en détournant le titre initial.
Exposition des nouvelles productions. Le A4 étant accompagné de l’œuvre souche initiale. Chacun s’empare du travail d’un autre participant et en fait l’éloge comme le ferait un critique d’art : dix lignes qui pourraient figurer dans un catalogue. Lecture. Ce moment peut s’achever par la présentation d’exemples de palimpseste : Bacon reprenant Vélasquez, Picasso reprenant Ingres ou Goya, etc.
Analyse réflexive sur la notion de dépassement, détournement, métamorphose, transcendance, sublimation, prise de pouvoir sur… Ces notions s’appliquent-elles aux relations humaines, et si « oui », quelles en seraient les conséquences ?
À l’issue de l’atelier, les participants témoignent :
Les cartes initiales sont restées les mêmes, mais c’est le regard collectif qui a changé. Si on transpose cela aux situations humaines la question est de savoir si c’est l’autre qui doit changer ou notre propre regard sur lui, ce qui pourrait éventuellement transformer à son tour son propre regard.
Tant qu’on ne comprend pas ce qui nous dérange, on est dans le refus. Il faut donc pouvoir le nommer.
L’autre nous pousse à la création de nous-mêmes. Il nous autorise à penser autrement. Il entend et accepte nos arguments et du coup nous aide. Il est donc important de ne pas être seul pour opérer ce changement de regard.
Entre adultes au travail, quand il y a conflit, il faut l’intervention de personnes tierces ; l’existence d’un objet de médiation (ici c’étaient les cartes postales) ; une réflexion sur les valeurs que chacun défend.
Avec la notion d’interdépendance, problématique à souhait, on porte l’attention sur ce qui se passe réellement entre les personnes, c’est-à-dire quelles sont leurs relations. Responsabilité et souci de l’autre sont ce à quoi se mesure la qualité de ces relations. Comme dans un système, si un élément bouge, tous les autres bougent. « Faire ensemble », « être ensemble », « penser de la même manière, ou presque » cela ne suffit pas. Le danger serait de se contenter d’une réalisation réussie parce qu’on était ensemble et d’en rester là ! Mais que signifie « être ensemble » ?
Considérer les interdépendances amène à intégrer la place de l’autre dans nos conduites et raisonnements. On pense en amont et en aval. Il suffit d’aborder la question du partage de l’eau sur la planète, de la gestion des terres cultivables et du prix des matières premières, de la pureté de l’air pour comprendre notre coresponsabilité.
Notes de bas de page
↑1 | Trois défis pour un monde juste, Libération, 9/9/2005. En outre, le Collegium international propose l’adoption par l’Assemblée générale des Nations unies d’une Déclaration universelle de l’interdépendance qui présente ce terme non comme un constat, mais comme un projet pour un monde plus juste et véritablement solidaire. |
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↑2 | Il en existe plusieurs variantes, notamment dans L’art et la littérature en classe d’espagnol, Maria-Alice MEDIONI, Chronique sociale, 2005. |
↑3 | Pour en savoir plus sur ce type d’entrée en matière, lire l’atelier Dubuffet Paysage mental dans Pratiquer le dialogue arts plastiques, écriture, O. et M. NEUMAYER, Chronique sociale, 2005. |