Toutes pareilles ou toutes différentes ?

Pas besoin d’être un fin limier pour l’avoir identifié : chaque école a son histoire, ses spécificités, sa culture, souvent son odeur qu’on retrouve dans le hall d’entrée, le réfectoire ou la salle de garderie. Les manières de commencer la journée, d’accueillir ou d’écarter les parents, d’organiser les élèves avant d’entrer en classe en disent souvent beaucoup sur l’identité de l’école, sur sa conception de l’éducation et sur ce qui s’y passe avec les élèves. Les différences ne s’arrêtent bien sûr pas là et les manières de « faire la classe », de concevoir une leçon et de mettre les élèves au travail sont aussi très diversifiées. Les manières de concevoir le travail à domicile, de choisir des critères de formation des classes ou de décider de l’échec ou de la réussite d’un élève varient également considérablement d’une école à l’autre, dans notre pays du moins.

Nous soulèverons dans ce texte deux questions en relation avec ce constat de la diversité des pratiques scolaires. La première question est d’ordre politique et attire l’attention sur les apports et les limites d’une telle diversité. La seconde question est instrumentale et s’intéresse aux spécificités qui caractérisent les écoles et surtout les classes qui font le plus progresser leurs élèves.

Entre autonomie et régulation

Oui, il y a donc des différences entre les classes et les écoles, et c’est heureux. C’est heureux, car cela permet aux enseignants de travailler avec une certaine autonomie, de choisir des modes de travail qui leur conviennent, de choisir (parfois) des méthodes adaptées aux élèves et aux familles qu’ils accueillent. Cela permet aussi, dans certains lieux, de penser un projet d’équipe qui, bien sûr, ne peut exister que si le cadre institutionnel autorise des différences entre les projets d’école. Mais, en même temps, nous savons que l’école est une Institution. Qu’elle n’est pas uniquement là pour s’adapter aux désidératas des élèves et de leurs familles. Ni pour permettre aux talents des profs de s’exprimer. Qu’elle est donc là pour créer de la culture commune, pour apprendre à connaitre ceux qui ne nous ressemblent pas, pour donner à chacun des chances égales d’émancipation. Et que cela repose sur un projet collectif pour toutes les écoles et sur un corpus ambitieux de savoirs et de compétences à faire enseigner dans tous les établissements, quels que soient les élèves qui les fréquentent.

L’enjeu politique majeur au moment de penser la question des différences entre écoles repose dès lors fondamentalement sur la reconnaissance et le traitement de cette tension : comment simultanément garantir un projet scolaire soucieux d’égalité et de culture commune tout en encourageant les dynamiques locales sources de créativité et d’identité ? Cette question va à vrai dire traverser une multiplicité d’objets parmi lesquels la définition des programmes, les modalités d’évaluation des élèves, la répartition des élèves entre écoles ou encore l’affectation des enseignants. Pour chacun de ces objets (et pour d’autres), un travail d’analyse sociopolitique peut être mené à travers le traitement des questions suivantes : quels sont les arguments en faveur de l’autonomie des écoles et de leurs Pouvoirs Organisateurs ? Et à qui devrait bénéficier cette autonomie : aux enseignants, aux parents, aux autorités locales ? Et quels sont les arguments en faveur d’une régulation limitant l’autonomie locale ? Quels sont les acteurs (partis politiques, syndicats, fédérations de PO…) qui déploient de tels arguments ? Et dans quelle mesure actent-ils la tension en présence ?

Des différences entre écoles très liées à leur recrutement

La seconde question que l’on peut se poser est plus instrumentale. Elle consiste à se demander quelles sont les caractéristiques des classes et des écoles les plus efficaces, c’est-à-dire les mieux à même de faire progresser les élèves qui y sont scolarisés.

Cette question est largement traitée depuis au moins 20 ans par la littérature scientifique. Sous le label d’Educational Effectiveness Research, c’est à vrai dire un vaste programme de recherche qui se déploie depuis deux décennies. Le schéma de travail le plus souvent adopté est simple et clair : il s’agit d’opérer en début d’année scolaire une mesure des acquis des élèves dans un grand nombre de classes et d’écoles, de documenter en cours d’année les choix pédagogiques et éducatifs mis en œuvre dans chacun des lieux observés et de prendre en fin d’année une nouvelle mesure des apprentissages auprès de chacun des élèves. L’analyse statistique permet ensuite d’identifier les caractéristiques des classes et des écoles qui ont le mieux fait progresser leurs élèves (ce qui est très différent d’une reconnaissance des écoles où les scores sont les plus élevés).

Sur base d’un tel schéma, nous avons réalisé[1]Cf. Dumay, X. et Dupriez, V. (2009). L’efficacité dans l’enseignement. Promesses et zones d’ombre. Bruxelles : Ed. De Boeck. il y a quelques années une vaste recherche auprès de tous les élèves de sixième primaire de 52 écoles primaires du réseau libre catholique, représentatives de la diversité des élèves scolarisés dans ce réseau. Première étape de l’analyse : où sont les différences ? Si l’on s’intéresse aux scores des élèves à l’épreuve externe que nous leur avions soumise en fin d’année scolaire (en mathématiques et en français), nous constatons globalement que près des deux tiers des différences de scores correspondent à des différences entre élèves au sein des classes. Presque un quart de la variance des scores correspond à des différences entre écoles et le reste à des différences entre classes au sein des écoles. Les différences de résultats sont donc au départ nettement plus visibles entre écoles qu’entre classes. Mais, comme nous nous intéressons aux progrès réalisés en cours d’année (et pas aux résultats bruts en fin d’année), nous devons donc écarter les différences qui étaient déjà là en début d’année et s’expliquent soit par les compétences initiales des élèves soit par le diplôme de leurs parents. Une fois cette opération effectuée, les résultats font apparaitre que les différences entre écoles sont fortement réduites (mais ne disparaissent pas), révélant dès lors que la grande majorité des différences de scores entre écoles sont liées au type d’élèves scolarisés. Nous constatons également que les différences entre classes (au sein de la même école) s’expliquent nettement moins par les caractéristiques de chacun des élèves.

Des classes efficaces

Notre analyse a donc été prolongée afin de débusquer les modalités de travail au sein des classes qui permettraient de comprendre pourquoi on progresse davantage dans certaines d’entre elles. Trois variables ressortent de cette analyse et convergent avec les résultats issus de la littérature internationale : on apprend mieux dans les classes où le climat de travail est favorable (on est là pour apprendre, les problèmes de discipline sont limités…), où le rythme est soutenu (on profite au mieux du temps octroyé, on ne s’interrompt pas trop…) et où les apprentissages sont structurés et articulés (des liens sont établis entre les parties d’un cours ; les élèves reçoivent fréquemment un feedback sur leurs apprentissages…). Pas de haute voltige pédagogique dans de tels résultats ! Mais le rappel de fondamentaux qui sont probablement importants quelle que soit l’orientation pédagogique adoptée par l’enseignant.

L’étape suivante de notre analyse avait pour objectif de répondre à la question suivante : certaines pratiques sont-elles plus efficaces dans certaines classes que dans d’autres ? Cette analyse a principalement été réalisée pour le cours de mathématiques où les différences entre classes étaient plus importantes qu’en français. Il en ressort que dans les classes regroupant des élèves issus de milieux socioculturels peu favorisés, on y est davantage qu’ailleurs sensible à la question du rythme de travail (et donc du temps de travail et des opportunités d’apprentissage) et on y est également sensible à un travail sur les représentations initiales des élèves, avant de se lancer dans un nouvel apprentissage. Ce dernier résultat révèle probablement un besoin plus important pour ces élèves de travailler la connexion entre leurs perceptions du monde et ce que l’école veut leur transmettre.

Au-delà de notre propre recherche, relevons également que la littérature scientifique a montré l’importance, à l’échelle de l’établissement, d’un leadeurship centré sur le travail pédagogique et les apprentissages des élèves, d’un leadeurship également soucieux de créer une culture commune dans l’école et de soutenir des espaces de travail collectif entre enseignants en relation étroite avec leurs pratiques éducatives.

En somme, les résultats d’un tel courant de recherche nous amènent relativement loin des représentations spontanées d’une bonne école. Ce ne sont pas souvent les boites les plus huppées et les mieux fréquentées qui apparaissent dans de tels travaux comme les écoles où les progrès sont les plus grands[2]Signalons toutefois que la motivation, le niveau scolaire et les ressources culturelles des autres élèves d’une classe (ce qu’on qualifie d’effet de pairs ou d’effet de composition) … Continue reading . Ce sont les écoles où l’éducation et l’apprentissage sont au cœur des préoccupations, portées par des enseignants qui acceptent de s’interpeler mutuellement sur leurs pratiques et leur projet. La délicate question politique renvoie dès lors à la recherche d’un équilibre entre cette plus-value qu’apporte la dynamique de chaque établissement, si du moins elle porte bien sur les pratiques éducatives, et la nécessité de solides balises collectives garantissant un projet commun pour tous les élèves et toutes les écoles.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Cf. Dumay, X. et Dupriez, V. (2009). L’efficacité dans l’enseignement. Promesses et zones d’ombre. Bruxelles : Ed. De Boeck.
2 Signalons toutefois que la motivation, le niveau scolaire et les ressources culturelles des autres élèves d’une classe (ce qu’on qualifie d’effet de pairs ou d’effet de composition) représentent également un facteur qui va peser sur les interactions au sein de la classe et les progrès des élèves. Mais ce facteur est loin d’expliquer toutes les différences entre classes.