Des cubes qui se dorent la face au soleil

Pour faire court, faire cours par beau temps dans la cour, cela ne paraît pas sérieux. À moins qu’il ne s’agisse moins de bayer aux corneilles devant un lever de soleil en hiver que d’ouvrir grand les yeux pour observer notre étoile jouer avec divers objets concrets ou semi-concrets.

 

Pas question aujourd’hui d’argumenter sur la place de la géométrie dans l’enseignement mathématique. Pas le temps de préciser en quoi la géométrie se fait avant tout dans l’espace plutôt que dans le plan. Pas envie d’expliquer l’importance des représentations planes comme moyen de communication à propos d’objets tridimensionnels. Inutile à mon avis de montrer en quoi la perspective que beaucoup de gens taxent de cavalière, occupe une place prépondérante parmi les représentations planes.
Comme vous êtes d’accord avec ce préambule, je peux avancer dans la confidence. J’ai décidé de sortir avec mes élèves… J’y pense depuis un petit temps, on va sortir dans la cour de l’école. Quand les murs de la cour sont trop hauts, on sort sur une place proche suffisamment dégagée. C’est prévu pour ce matin à 11 heures. Zut, il y a trop de nuages. On verra plus tard, ou demain…
« Monsieur, monsieur, le soleil ! » D’accord, on fonce. N’oubliez pas, chaque groupe doit avoir une plaque de polystyrène expansé ou extrudé de couleur (le blanc au soleil, ça tue), un cube, un tétraèdre et un octaèdre régulier, des bois à brochettes. 

Les expériences

Chaque groupe a un cube réduit à ses arêtes. Il s’agit d’observer les ombres du cube sur la plaque de polystyrène. Il n’est pas interdit de faire prendre au cube et à la plaque, des positions diverses (Fig. 1). « Quelles sont toutes les figures planes qu’on peut obtenir comme ombre du cube au soleil ? Gardez trace de chacune d’entre elles. »

Fig. 1

Pas question de me dorer la pilule au soleil en attendant que les résultats sortent. Je circule… Tantôt pour suggérer une position du cube sexy, tantôt pour prôner une manipulation adroite de la plaque, tantôt pour inciter à regarder la position de la plaque par rapport au soleil et non l’inverse (le soleil, ça tue, on l’a déjà dit), tantôt pour questionner : « Ah, vous avez observé un hexagone (comme sur la figure 1), peut-on obtenir un hexagone régulier ? » « Avez-vous obtenu des pentagones, des heptagones ? » « Vous avez un carré, y a-t-il d’autres quadrilatères ? » « Que se passe-t-il quand le soleil est très bas sur la plaque ? » « Y a-t-il des caractéristiques générales satisfaites dans tous les cas ? »
Une fois que le travail est fait avec le cube, on le refait avec un tétraèdre régulier puis avec un octaèdre régulier… Avec des bois à brochettes ou avec des bâtons, on peut faire diverses expériences en mesurant les objets et leurs ombres… 

En classe

On peut sortir à l’ombre à tous les âges.

Une fois rentré en classe, tout reste à faire :
Partager le résultat des observations (quelques cas observés à la Fig. 2). Comme ombres du cube, on a pu observer des hexagones, un carré, des rectangles, des parallélogrammes… L’ombre d’un cube peut être aussi étirée qu’on le veut (quand le soleil est bas sur la plaque).Émettre des conjectures. L’ombre d’un cube au soleil peut être un hexagone régulier, mais ni un pentagone ni un quadrilatère non parallélogramme. Les ombres solaires conservent le parallélisme (et on a vérifié que ce n’était pas le cas pour les ombres engendrées par une petite ampoule lumineuse). 
Construire les règles de la perspective cavalière. Les ombres observées sont soit des vues en plan de l’objet, soit des perspectives cavalières ou plus généralement axonométriques, de celui-ci. Dans tous ces cas, des arêtes parallèles d’un objet ont des ombres parallèles. Certaines arêtes sont cachées parce que les ombres se superposent et certaines faces sont réduites à une seule arête. Deux segments parallèles ayant un certain rapport de longueur ont des ombres dans le même rapport de longueur. 
Expliquer et prouver (étape réservée à des élèves du secondaire supérieur). Derrière le phénomène des ombres au soleil, il y a un plan de projection et un certain type de projection. Car les rayons solaires sont parallèles : pourquoi ? Sachant cela, le parallélisme et le rapport de longueurs de segments parallèles sont conservés dans cette projection. Ce qu’on justifie avec les outils de la géométrie synthétique de l’espace.

Fig. 2

Dès le plus jeune âge

On peut sortir à l’ombre à tous les âges. En maternelle : on observe plutôt la forme des ombres des objets familiers, on les mémorise. On retient que pour évoquer un sapin, il est plus facile de dessiner une miniature de son ombre que de faire la maquette du sapin sachant qu’on ne va tout de même pas en couper un et le laisser sécher en classe pour le ranger dans un herbier. En primaire : on s’intéresse à la taille de son ombre et à celle d’autres objets verticaux en la liant à la position du soleil dans le ciel. En secondaire : on travaille avec des objets semi-concrets (cube, tétraèdre et octaèdre réguliers), les objets de la réalité sont trop complexes, pour pouvoir faire des maths. Sortir de la classe pour aller dans la cour, ce n’est pas le bout du monde, c’est simple et bon marché. Mais cela paraît bien loin et couteux en efforts, pour tant de collègues qui préfèrent les expériences à la lampe d’un smartphone dans l’espace exigu de la classe ou qui choisissent l’option pas d’expériences du tout…