Une majorité d’acteurs de l’École s’entend aujourd’hui pour affirmer que la formation initiale des enseignants mérite d’être revisitée. À l’heure où la ministre de l’Enseignement obligatoire déploie un vaste chantier repris sous le vocable « Pacte pour une école d’excellence », en d’autres lieux, mais en écho, la réflexion qui doit mener à modifier la formation initiale des enseignants (FIE) se prolonge [1]Lire l’analyse dans son entièreté sur le site http://goo.gl/OQXw87.
À ce stade-ci, une note importante datant de la précédente législature est sur la table2. Elle contient des propositions émanant du groupe dit des quatre opérateurs de la formation initiale (universités, hautes écoles, promotion sociale et écoles supérieures des arts). Il semble y avoir un consensus sur le souhaité : une mastérisation de la FIE dotée d’un référentiel de compétences, six axes de formation communs avec comme noyau dur la formation à la pratique et par la pratique et quatre filières de formation avec des périodes de « chevauchement ».
Nous osons croire que des projets de qualité sont sur la table : 60 % à 70 % de la formation seraient communs à tous les enseignants au sein d’un master en enseignement de 300 crédits, avec des axes de formation clairement identifiés. En même temps, dans le contexte actuel, nous percevons un réel danger de passer à côté d’une réforme majeure. Comme souvent en FWB, l’enfer est pavé de bonnes intentions…
Il semble qu’en coulisses les choses se soient accélérées et notre première crainte est que le politique s’emballe, aille très vite, voire trop vite, dans une course effrénée et concurrentielle entre Joëlle Milquet (CdH) et Jean-Claude Marcourt (PS) pour nous fourguer un décret bâclé, à mettre en œuvre de manière précipitée dans les institutions concernées.
Quid de la concurrence entre ces différents opérateurs qui cache habituellement son nom ? Ces opérateurs ont des points de vue et des logiques d’action différentes. Certains pèsent plus lourd que d’autres. Nous en voulons pour preuve les récentes tensions (et certainement encore à venir) entre universités et hautes écoles[2]Propositions pour une réforme des formations initiales des enseignants en Fédération Wallonie-Bruxelles, 17 juin 2014 concernant le refinancement de l’enseignement supérieur. Le jeu de « tuyauterie » structurelle entre les hautes écoles[3]Également entre universités et entre hautes écoles ! et les universités doit être défini à l’avance. Sinon, le risque est grand d’assister à une foire d’empoigne (dont on peut ici et là déjà voir les prémisses).
La composition du groupe de travail nous préoccupe : on fait de l’entre-soi comme souvent quand il s’agit de « réformer » l’école. Où est la place laissée à la société civile, à ceux qui font les frais d’une école excluante ? Qui parlera au nom de tous ceux que notre système scolaire broie dans ce groupe fermé d’opérateurs de la FIE ? Une réforme de la FIE ne peut que s’inscrire dans une perspective de lutte contre les inégalités sociales et scolaires.
Enfin, il y a le contexte plus large de l’enseignement supérieur et de la mise en œuvre du décret dit « paysage » qui n’a pas abrogé, pour les catégories pédagogiques, le décret de 2002 appelé décret Dupuis. Ce dernier, bien qu’intéressant, souffre d’un morcèlement de petites activités d’apprentissages qui entrainent parfois des redondances et qui permettent peu aux étudiants de construire les liens. On pouvait espérer que le décret paysage par son architecture en unités d’enseignement amènerait des regroupements cohérents et intégratifs. Il est trop tôt pour le dire, mais il semble que cela soit rarement le cas.
Un des aspects fondamentaux souvent occulté est la formation des formateurs de la FIE. Nous posons l’hypothèse qu’une transformation profonde du métier d’enseignant passe avant tout par une réflexion en profondeur sur la formation des formateurs. De notre point de vue, plusieurs principes fondamentaux devraient régir la formation des enseignants.
Il ne suffit pas de tenir un discours « sur », sur ce que les futurs enseignants devraient faire dans telle ou telle situation, il faut pouvoir faire vraiment avec les futurs enseignants ce qu’on préconise qu’ils doivent faire avec leurs élèves. En tant que formateur, il s’agit ici de travailler les occasions de se retrouver soi-même apprenant, l’occasion de (re) découvrir que les obstacles cognitifs n’apparaissent pas pour tous au même moment, que les ressources ne sont pas automatiquement transférables…
Il ne suffit pas de proclamer la dynamique collective du métier d’enseignant si cette dimension n’est pas elle-même travaillée au sein de la formation des étudiants, non pas pour répondre à un prescrit, mais pour expérimenter que l’on apprend avec, pour, contre les autres.
Il ne suffit pas de promouvoir l’enseignant réflexif en adossant simplement la pratique à la théorie. L’accompagnement de stagiaires se trouve au cœur du dispositif de la formation. Il constitue souvent une nouvelle facette qui requiert une réelle formation – absente aujourd’hui – en termes de posture, de gestes professionnels, de tensions inhérentes à cet accompagnement. Il y a beaucoup trop d’amateurisme dans l’accompagnement des stages qui est au cœur de la formation.
Il ne suffit pas de professionnaliser les enseignants, encore faut-il savoir ce que l’on met derrière cette professionnalisation. Il ne s’agit pas de réduire l’enseignement à des gestes « techniques ». Est professionnel dans la classe celui qui sait mettre en place les routines nécessaires, procéder à des régulations en situation de travail et expliciter les raisons de ses choix. Cela vaut évidemment pour des formateurs aussi.
Il ne suffit pas de décréter que l’enseignant devient un acteur social, encore faut-il qu’il ait eu, dans sa formation, la possibilité de sortir de la classe, d’observer comment une école fonctionne, comment elle contribue ou pas à faire réussir tous les élèves, comment la concurrence entre établissements scolaires reste un frein à l’émancipation de tous… Bien peu de formateurs de la FIE sont eux-mêmes des acteurs sociaux…
Il serait lamentable de réduire le débat en cours à une bagarre rangée entre les uns et les autres et de se limiter à un débat technocratique. Il y a urgence à replacer les véritables enjeux au centre, à redéfinir le métier d’enseignant, un métier devenu plus complexe, plus exigeant dans une société qui a bien changé et qui exige en retour de plus en plus de l’école.
« Dans ce contexte, le métier d’enseignant est plus que jamais un métier à très haute responsabilité… et à haut risque. Aider tous les jeunes à trouver du sens, les outiller pour qu’ils deviennent acteurs d’un monde plus équitable… tout en savourant le plaisir des découvertes et des apprentissages. Et encore : être en permanence attentif à chaque élève, tout en veillant à développer le gout du travail en équipe et la qualité d’un vivre ensemble solidaire et coopératif[4]J. Liesenborghs, « Quels profs pour demain ? », Blog personnel, 2013. . »
Notes de bas de page
↑1 | Lire l’analyse dans son entièreté sur le site http://goo.gl/OQXw87 |
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↑2 | Propositions pour une réforme des formations initiales des enseignants en Fédération Wallonie-Bruxelles, 17 juin 2014 |
↑3 | Également entre universités et entre hautes écoles ! |
↑4 | J. Liesenborghs, « Quels profs pour demain ? », Blog personnel, 2013. |